Partir le soir, rentrer le matin

Craignant la chaleur et ne goûtant guère la compagnie des semblables – je préfère les dissemblables -, j’attends le soir pour l’escapade, car à la tombée du jour, on peut espérer qu’au mois de mai la fraîcheur tombe avec la nuit, et que les promeneurs diurnes, pressés par la pénombre, rentrent en leur bercail. Là-haut, nous grimpons d’abord, histoire de se dégourdir les pattes, au Lit de la Vierge, un dédale de rochers d’où l’on voit se déployer les crêtes du Forez et les immenses forêts sur leur flanc, puis, sans se presser puisque la lueur du jour insiste à cette période de l’année jusqu’à très tard, j’installe le campement pour la nuit, près du vieux cimetière de la mission de la ND de l’Hermitage. Iris hésite et fait des manières, mais finit par accepter de s’abriter sous la toile de tente – et s’empressera, une fois “soit-disant” endormie, d’accaparer autant qu’elle peut le tapis de sol et le duvet, me repoussant dans un coin de l’habitacle. Le vent puissant grondant aux cimes de la forêt et le roucoulement du ruisseau qui ne cesse jamais, nous bercent. Quelques grognements au milieu de la nuit, non loin du cimetière. Les oiseaux, eux, s’étaient tus aux environs de la vingt-troisième heure, puis, comme s’ils s’étaient donné le mot, chantent à nouveau et de plus belle à 5 heures tapantes. À 5h30, je suis debout, devant un petit-déjeuner de bûcheron – saucisson/fromage, et Iris, par l’odeur alléchée, à tôt fait de glisser son museau hors de la couette. Ha ! Traîner un peu dans la fraîcheur du tout petit matin, admirer le lever du soleil, faire ses ablutions au ruisseau, replier son barda tandis qu’Iris furète déjà dans les hautes herbes de la prairie !

Puis, retour à l’automobile, direction Chalmazel, une station de ski qui est restée fermée l’hiver dernier par manque de neige, et, depuis le parking à cette heure-là parfaitement désert, s’embarquer goulûment dans la montée à Pierre-sur-Haute, sommet des montagnes du Forez, 500 mètres de dénivelé tout de même, que nous dévorons en passant “tout droit”, par la grande piste de ski alpin, en à peine une heure, parce que j’ai hâte d’être là-haut et que ça me rappelle mes innombrables montées au Plomb du Cantal depuis Prat-de-Bouc (quand j’allais là aussi “tout droit”, quelle que soit la pente, jusqu’à ce que les cuisses me brûlent – et pour brûler, ce matin en gravissant les derniers hectomètres dans les étendues infinies de myrtilliers, elles brûlent !). Je recherche, pour le compte d’un ami versé dans la météo locale, les traces éventuelles des derniers névés, dont il m’a donné la position précise. Pas un centimètre carré de neige. J’ai bien peur qu’il n’en reste rien, et qu’à la place, de petites mares scintillent sous le soleil de mai. Ha, c’est bien triste ces hivers disparus, je ne m’y ferai jamais.

On fait le tour de la station militaire mystérieuse – mais dont le mystère n’intéresse plus grand monde. J’aime assez, dois-je avouer, cette incongruité techno-militaire au sommet de la montagne – ces antennes satellites gigantesques tournées vers je ne sais quelle direction cosmique, on se croirait pour un peu sur Mars ou quelque autre planète récemment terraformée. De retour à Chalmazel, je m’étonne de toutes ces autos sur le parking, et cette foule de gens laçant leurs chaussures, manifestement prêts à en découdre avec la montagne. Il règne une ambiance affairée, préoccupée, le stress est palpable. Ne sommes-nous pas jeudi ? Ne sont-“ils” pas censés travailler pour redresser l’économie du pays et créer du profit pour les actionnaire ? Ha ! J’oubliai : ce jeudi, c’est l’Ascension du Fils vers le Père, c’est donc un jour férié (dans mon calendrier évidemment, c’est tous les jours l’ascension).

Bien. Il est 9h30 et largement l’heure de leur laisser la place, à tous ces fériés ascensionnistes en basket, et de regagner ma tanière.