Note sur l’angoisse et le déni de l’angoisse en temps de crise

Une partie de la population est absolument incapable de se représenter la gravité des évènements – la crise pandémique, la crise climatique et le risque actuel d’un conflit mondial. Sans doute parce qu’il s’agirait d’éprouver une forme d’angoisse, une angoisse absolue,  et qu’au le sentiment de panique qu’elle est susceptible d’engendrer, et qu’on n’est pas en mesure de contenir (par la pensée, que peut-on faire d’autre ?), on préfère répondre par le déni, le clivage, le refoulement, la diversion, toutes les modalités de la négation.
Oui, les anxieux, souvent lucides, qui ne disposent pas des mêmes aptitudes à l’oubli et à la négation, souffrent. L’expérience de la souffrance (certes toute relative, l’Ukraine, le Yemen ou la Birmanie, ce n’est pas qu’une “expérience émotionnelle”) a mauvaise presse.  Il faudrait ne plus éprouver de douleur psychique du tout, annihiler toute angoisse : c’est le mantra du pharmakon de l’individu néolibéral : l’angoisse nuit à la performance, l’histoire est pleine de “pensées négatives”, le présent aussi,  pour vivre heureux, faisons l’autruche, relativisons (ou bien, si l’on est suffisamment stupide pour devenir complotiste, inventons un récit alternatif qui considère les malheurs des temps comme une fabrication d’un ennemi de l’humanité).
Lacan, que je n’aime pas beaucoup, avait intitulé un de ses séminaires, usant d’un calembour dont il est coutumier : “les non-dupes errent”. Oui, le monde est décevant, il n’est pas comme on voudrait qu’il soit. On peut en vouloir à des tas de gens.  Et même, soyons fous, s’en vouloir à soi-même (quand bien même la culpabilité n’est pas de mise pour l’individu néolibéral optimisé, le scrupule moral et le souci de l’autre non plus d’ailleurs).
Une philosophie comme l’existentialisme, née sous les bombes et sur les ruines de deux guerres mondiales ne parle plus à grand monde aujourd’hui. Et pourtant. N’y a-t-il pas de nos jours de quoi nourrir ce sentiment du tragique, de l’absurde, et le spectre du néant ?
Il n’empêche, comme disait Pascal, c’est bien dans cette embarcation pourrie que nous sommes embarqués – et on peut se “raconter des histoires” (comme le disait Macron à Poutine hier) : cela n’y changera rien.
Comme je disais parfois à mes patients : “Je ne sais pas si vous allez mieux, mais je suis sûr que vous êtes un peu moins ignorants, et que l’histoire que vous vous racontez maintenant est plus juste que celle que vous vous racontiez hier.