Nationalisme “dilettante”

Le nationalisme “dilettante” Biélorusse. (extrait du livre passionnant et inspirant d’Andrew Wilson, Belarus, The last dictatorship in Europe, Yale University Press 2012)

Un pays sans frontière naturelle marquée, sans identité ethnique claire, sans langue et sans religion vraiment « originaire » – et qui, au contraire de toutes les anciennes républiques soviétiques, a préféré conserver une forme « aménagée » de socialisme plutôt que se lancer à corps perdu dans le « capitalisme sauvage » pour citer Loukachenko (qui gouverne le pays sans discontinuer, en manipulant « à la Poutine » un pseudo-pluralisme politique depuis 1994 – excusez du peu!). Mais aussi la dernière dictature « pure et dure » en Europe – qui peut s’appuyer sur une police politique qui a conservé le nom de KGB.

Je cite (et traduis vite fait deux extraits du chapitre 8)

“Nowhere Land.
L’un des “Nashanivtsy” était également géographe, Arkadz Smolich (1891-1938). Selon lui, le Belarus ne possédait pas de frontières naturelles ou notables. Il est également généralement plat, sans grandes chaînes de montagnes. Un tiers du pays est encore recouvert uniformément de forêts. Le seul territoire présentant un intérêt particulier, pensait-il, était la Polésie – les marais du sud-ouest – porteuse de sa propre histoire. La Biélorussie est également enclavée. Pourtant située au confluent de trois grands fleuves – la Dzvina, le Neman et le Dniepr – elle n’a jamais réussi à atteindre la mer, bien que Polatsk ait un jour cru qu’elle le pourrait ; le symbole de sa ville est un navire en pleine mer. Elle se trouve peut-être à plusieurs centaines de kilomètres de la mer Baltique, mais la puissance de Polatsk est venue de sa position dans l’arrière-pays de la Baltique avant l’essor de Riga, où elle contrôlait en fait des villes-états vassales en aval de la Dzvina. Si Polatsk avait consolidé cette position, on peut imaginer que les trois nations slaves de l’Est se seraient développées séparément autour de “leurs” systèmes fluviaux : le Belarus, plus proche de la mer Baltique et de la Scandinavie ; l’Ukraine sur le Dniepr, qui coule vers le sud ; et la Russie sur la Volga, via les fleuves Moskva et Oka. Il aurait alors pu y avoir une compétition plus équilibrée pour le contrôle de Novgorod et de ses liens avec le golfe de Finlande. L’expansion de la rivière Neman, qui se jette également dans la mer Baltique via les villes de Navahrudak et de Hrodna, n’a pas permis au Belarus d’obtenir une autre voie de sortie. En tout cas, le Belarus “ethnographique” est maintenant trop étendu et trop vaste pour se concentrer uniquement sur la Baltique.

Everywhere Land.
La véritable clé de l’histoire du Belarus est qu’il se trouve au carrefour de nombreuses cultures et qu’il est situé en amont de multiples rivières. Selon une vision plus synthétique, le Belarus est donc un lieu intermédiaire et transculturel. Les Bélarussiens ont une longue tradition qui les poussent à se ranger du côté du plus fort, recherchant même cette domination afin de s’y allier. La façon dont Loukachenko a fait la cour à la Russie à l’époque moderne rappelle fortement les chevaliers locaux qui soutenaient le Grand-Duché de Lituanie au Moyen-Âge. Les Biélorusses ont également une longue tradition d’adhésion aux églises des autres peuples : catholique, protestante et orthodoxe. Pour certains commentateurs comme Sviatlana Kalinkina, cela signifie une tendance au dilettantisme national : “à un moment, nous allions rejoindre la Russie, à un autre, nous ne l’avons pas fait”. Et ce zigzag semble avoir empêché les Biélorusses de s’identifier”. Mais c’est aussi une autre raison pour laquelle des mythes identitaires profondément opposés peuvent fleurir simultanément.”