Macron-économie

Quelques mois après l’installation du nouveau président et de son gouvernement au pouvoir, le doute, si tant est qu’il y en ait jamais eu un, n’est plus permis : le pays est désormais aux mains d’une clique parfaitement décidée à achever la libéralisation de l’économie. Ce gouvernement suit les traces de ses prédécesseurs, mais sans les réserves et les entraves qui ralentissaient encore le processus : chez Sarkozy, le souci de prévenir un mécontentement populaire trop important, et chez Hollande, la nécessité de contenir une opposition interne, au sein même de son parti. Les deux avaient été élus en grande partie grâce aux voix du peuple. Ce qui n’est absolument pas le cas de Macron. L’élection de Macron, en comparaison, paraît tout à fait unique dans l’histoire politique récente en France : seule une minorité, environ 25%, des électeurs, adhère réellement et sincèrement à son programme, et cette minorité se distingue par une homogénéité remarquable sur les plans socio-culturelle et économique : il est le Président d’une population urbaine aisée, diplômée, jouissant en nombre de ce que les géographes appellent des “éléments d’urbanité”, favorisée socio-économiquement, adeptes de la “culture d’entreprise”, nourrie au biberon de l’idéologie du management, bref, autant dire qu’il n’est en rien le président du peuple, titre dont ses devanciers pouvaient, avec plus ou moins de sincérité, se réclamer.

 

Macron est un banquier de la haute finance, qui n’a jamais été élu au niveau local, et dont la connaissance de la condition réelle de ses administrés doit probablement flirter avec l’ignorance la plus totale. C’est avant tout un lecteur de statistiques et d’indicateurs macro(n)-économiques : le peu qu’il sait du réel “populaire”, il l’apprend en consultant ces répertoires de données. Il se trouve que j’ai reçu dans ma boîtes aux lettres quelques numéros d’une revue financière destinée manifestement aux boursicoteurs (aux investisseurs) : je n’y ai strictement rien compris, et vu l’état de mon compte en banque ces jours derniers, je me demande vraiment quelle mouche a piqué le service des abonnements pour m’envoyer cette littérature. On y voit des tableaux et des diagrammes, des noms de société suivis de chiffres, de courbes ascendantes et descendantes, on y prodigue des conseils, et de fringants quinquagénaire en costume-cravate y font la promotion de leur compagnie. C’est à cette littérature que nos gouvernants puisent leur inspiration, c’est elle qui leur dicte les règles à suivre, dessine l’horizon et inspire les lois. L’état est au service des intérêts des compagnies privés et de leurs actionnaires, cela n’a rien de nouveau, mais prend une allure plus explicite.

 

Pour autant, les deux leitmotiv classiques des discours économiques ne sont pas abandonnés. On continue de considérer la lutte contre le chômage et la diminution de la dette comme les deux priorités indiscutables. Mais aujourd’hui plus encore qu’hier, il faut entendre par lutte contre le chômage le moyen le plus tolérable par l’opinion de saper la dimension protectrice de tous les contrats de travail et, en ce qui concerne le soi-disant problème de la dette, une argument acceptable pour faire passer la pilule du désengagement de la puissance publique en matière de soutien social. La lutte contre la pauvreté est en réalité une lutte contre les pauvres – ou, de manière plus insidieuse, la manière de transformer les masses les moins favorisées en main d’œuvre corvéable à merci, comme au bon vieux temps d’avant les luttes sociales. La conception capitaliste du travail tend irrésistiblement vers le modèle de l’esclavage. C’est un siècle et demi de combat pour l’amélioration des conditions de travail et de la dignité des salariés qui partent en lambeaux en quelques années. L’idée même d’un progrès social trouve ici sa fin, sans que grand monde y trouve à redire, ayant perdu toute mémoire de l’histoire des luttes visant à protéger le peuple de l’avidité du capital. La lutte des classes, déclarée obsolète dans les années 80 par l’intelligentsia au service des puissants, n’a en réalité jamais cessé, mais seul un de ses protagonistes a depuis continué le combat, et ce protagoniste n’était plus le peuple.

 

La société hyper-connectée et mondialisée, organisée autour des métropoles, constitue l’espace idéal du déploiement des politiques ultralibérales. Il est probable que la réorganisation des territoires autour d’une vingtaine de métropoles reliées entre elles en un réseau dense de transports et communications, et surtout par une culture commune, et des populations homogènes, s’accélère durant l’ère Macron. L’abandon des territoires les plus éloignés des centres métropolitains est programmé : les métropoles n’auront bientôt plus aucune raison de payer pour les régions pauvres, improductives, et se contenteront d’en exploiter les ressources (naturelles, extractives, touristiques, agricoles, etc.) sans se soucier de la condition des autochtones. On doit s’attendre à la fin prochaine d’un certain monde rural, dont le développement suivait bon an mal an celui des villes. Les campagnes situées à proximité des gares TGV ou subissant l’influence des métropoles connaissent certes  un accroissement démographique : elles offrent en effet des éléments d’urbanité notables — dès lors on parle de rurbanité les concernant. Pour les autres, qu’on qualifiera d’hyper-rurales, l’avenir démographique ressemble à un désert. Rien d’étonnant non plus : le gouvernement Macron ignore le monde rural comme il ignore le peuple (du rural il n’entend que les discours des gros entrepreneurs-céréaliers, des lobbys de l’agriculture, et de quelques notables).

 

Seul compte en définitive “l’individu qui réussit grâce à la vigueur de sa volonté”. Conformément au programme anthropologique implicite des théories cognitives et comportementales, dont le triomphe ces dernières décennies dit assez bien quel degré de faiblesse intellectuelle nous avons atteint, l’homme qui échoue doit son échec à quelques défauts et anomalies cérébrales. Les déterminations sociales, sans parler des histoires de vie, n’ont aucune part dans le destin socio-économique des individus. Voilà le schème global de l’évaluation qui s’opère sur tout un chacun. C’est évidemment passer sous silence le fait notable que les “gagnants” dont parle Macron et ses sbires ont bénéficié massivement des avantages procurés par une naissance sous une bonne étoile – bref, que la reproduction des élites et des héritiers n’a rien d’un mythe. Toute la rhétorique des gagnants vise à faire oublier cet aspect peu méritant de leur condition. ça marche, jusqu’à présent du moins. Tout comme paraît pour le moment convaincant pour une bonne partie des administrés l’idée que l’état de la France nécessite un serrage de ceinture supplémentaire – quand dans le même temps l’impôt sur la fortune se voit grandement minoré.