L’Écriture psychanalytique

Les psychanalystes (moi le premier, bien que je m’efforce de faire autrement) sont toujours tentés de raconter autre chose que ce qu’ils font ou disent en séance, par exemple, écrire de longs paragraphes érudits sur l’œuvre de Freud, ou d’intenses exercices de réflexion sur tel ou tel concept majeur de la littérature psychanalytique, éventuellement agrémentés de quelques vignettes cliniques, articulées à titre de preuve ou simplement d’illustration plus ou moins vague. Cette tendance me parait relever surtout d’un problème de communication, et plus précisément de communication publique. La clause de confidentialité, qui protège le patient et garantit la possibilité même de la confidence dans le cabinet de l’analyste, protège aussi l’analyste, en soustrayant au jugement éventuel de ses pairs les aléas de son activité quotidienne, les spécificités de sa pratique. Si bien que, vous aurez beau lire des tonnes d’ouvrages publiés sous le nom et au nom de la psychanalyse, vous n’en sortirez pas beaucoup plus informés de ce qui se passe réellement dans le secret des cabinets. C’est à mon avis ce qui insupporte de nombreux critiques de la psychanalyse, forcés dés lors de se rabattre sur les textes classiques, encouragés en cela par les psychanalystes eux-mêmes, qui au fond attisent les sentiments de suspicion de leurs ennemis en les privant d’informations. Au final, une sorte de mystère entoure l’activité psychanalytique, mystère délibérément entretenu qui n’est pas sans exercer son charme encore aujourd’hui, qui contribue sans doute à ce que Wittgenstein désignait comme le charme de l’interprétation (qui surpassait selon lui son effet provocateur).

Il n’y a pas lieu à mon sens de s’indigner de cette rétention d’informations. Après tout, peut-être est-il souhaitable qu’à l’heure où se répand, pour de rarement bonnes et souvent mauvaises raisons, un fantasme de transparence généralisée, où toutes les expériences de l’existence sociale sont appelées à faire l’objet de compte rendu auprès de telle ou telle autorité, peut-être est-il souhaitable donc qu’une expérience aussi intime que la séance psychanalytique demeure privée autant qu’il se peut, et il en irait de la responsabilité des analystes de freiner leurs velléités à communiquer publiquement au sujet de ce qui se passe en séance.

Devrions-nous dès lors nous contenter de parler « au sujet de » la psychanalyse, ressasser indéfiniment les textes cliniques de nos lointains prédécesseurs et renoncer complètement à essayer de produire une communication publique à partir de notre expérience d’analyste ? Je ne le crois pas. Je pense d’abord que ce serait là une restriction dommageable à la formation des futurs analystes, qui comme moi, ont tiré des enseignements précieux de leur lecture des Lettres à Fliess et du Journal clinique de Ferenczi, textes qui, notons-le, ne furent pas destinés à la publication par leurs auteurs, mais auxquels les aléas de l’histoire nous ont finalement permis d’accéder. Et je crois également que la meilleure défense contre ceux qui aimeraient voir disparaître cette forme décrétée erronée et obsolète de relation sociale, plutôt que de s’épuiser dans une intenable et souvent pathétique apologie des classiques à commencer par Freud, c’est encore de témoigner de ce qui se passe réellement dans nos cabinets, chaque jour que Dieu ou le diable fait.

Mais, de « de ce qui se passe réellement » (et quand j’écris « réellement » je songe plutôt au wirklich de Ferenczi, donc je devrais écrire « vraiment ») dans nos cabinets, que pouvons nous dire au juste ? Il ne suffit pas comme on l’entend souvent de se prétendre ou réclamer « de la clinique » : encore faudrait-il savoir ce qu’on veut dire par là, et déterminer ce qui mérite de faire l’objet d’une communication publique. Or, rien n’est moins clair : combien de communications prétendument clinique qui, pour reprendre une remarque de Bion, n’évoque dans l’esprit du lecteur ou de l’auditeur aucune séance réelle, combien de groupes d’analystes censés « mettre la clinique au travail » qui finissent par s’adonner à un concours de références érudites, combien de « vignettes cliniques », élaborées conformément à ce qu’on apprend en cours de psychologie, et qui, dès lors, font figure de vagues évocations sans aucune épaisseur incapable de nourrir l’analyste qui en subit l’exposé, se limitant à susciter quelques émotions basiques au lieu de pensées : émouvoir, indigner, se moquer même parfois ! Ah ! Ces rires complices, ces sous-entendu ironiques, à l’évocation de tel ou tel épisode clinique, et la tranquille certitude de ceux qui, se tenant bien au chaud au sein d’un groupe qui leur est conquis, découpent et tranchent et résument en quelques formules biens senties tel ou tel cas présenté, déployant sur ledit groupe une couverture abrutissante de cynisme et d’arrogance sous laquelle les disciples zélés et forcément ingénus se confortent à leur tour, tout heureux de s’être trouvés un maître – celui qui saura tenir lieu de réponses à leurs doutes fébriles. Arrogance, c’est un mot de Bion aussi, le titre d’une conférence qu’il prononça dans les années cinquante en terres françaises (une des rares interventions de Bion de ce côté-ci de la Manche : le terrain était déjà occupé et saturé par d’autres, et le destin de la psychanalyse française s’y jouait pour le meilleur et pour le pire).

La clinique donc ! Mais quoi la clinique ? Et si après tout les faiblesses des textes qui prétendent communiquer quelque chose des séances psychanalytiques vécues relevaient d’une limite inévitable et intrinsèque de notre langage et de notre pensée – il faudrait répète Bion un « artiste » ou un « poète » pour rendre compte de notre expérience. Posons alors quelques objections :

1. La séance, dit-on, relève de « l’incommunicable » : on veut dire par là je crois, que toute communication de ce qui se passe durant la séance demeure forcément partielle : la remarque est à ce point banale, même si ça fait toujours son petit effet mystico-onto-théologique d’employer un mot tel que « incommunicable » (ou, pire : « ineffable »), qu’elle vaut tout aussi bien pour n’importe quelle expérience : être soudainement empli de la présence de Dieu certes, mais aussi traverser la rue pour aller chez le boulanger. Le problème logique de décréter, en le regrettant amèrement, que tout compte-rendu de l’expérience soit marqué au sceau de la partialité, c’est qu’on suppose qu’il y aurait quelque part (où donc ?) une représentation totale possible, une totalité qu’un esprit débarrassé des affres du langage saurait décrire (mais par quels moyens?).

2. Dans le même ordre d’idées, la complexité de l’expérience, et particulièrement de l’expérience psychanalytique, rend caduque toute entreprise de compte-rendu, parce que celui qui écrit ou prend la parole à ce sujet ne saurait s’exclure du fait qu’il est aussi celui qui occupe une position dans le transfert psychanalytique, qu’il sent, agit et pense, irrémédiablement dans l’imbroglio transférentiel, c’est-à-dire qu’à chaque fois il ne manque pas de sentir, agir et penser avec ce qu’il est, à la fois sujet et objet, bref, qu’il demeure désespérément humain, là où, dans d’autres circonstances, par exemple dans le laboratoire de psychologie expérimentale, des protocoles et des procédures existent précisément pour neutraliser autant que possible les effets de la subjectivité de l’observateur : le cabinet de l’analyste n’est certainement pas un laboratoire, et la psychanalyse au contraire prend à bras le corps l’élément inter-subjectif de la relation (pour dire vite parce que c’est beaucoup plus fin et compliqué), bref, fait du transfert son miel et la matière première de ses investigations et pensées. Mais là encore, quand bien même l’objection s’entend fort bien, n’est-il pas légèrement arrogant de renoncer à toute objectivité dans la mesure où l’objectivité absolue n’est pas possible ? Ne serait-ce pas précisément une des tâches majeures de la mise en mot de quelque chose de nos séances, de viser à dégager un fait intéressant pour la psychanalyse, susceptible de nourrir la croissance des analystes, ou de quelques-uns, à commencer par celui qui l’écrit, en s’efforçant à une certaine objectivité ? Qu’il faille à cette fin remettre sur le tapis la question de nos protocoles d’écriture, utiliser par exemple un outil conceptuel dont on se sera doté (à l’instar de la grille de Bion), et faire preuve d’innovations formelles, voire stylistiques, etc. voilà une tâche qui pourrait nous occuper pour bien des années.

Ces deux objections supposent au fond qu’il y aurait là quelque part une vérité hors du langage (au sens large, pas seulement les transformations verbales), hors de l’interaction sociale à laquelle la relation psychanalytique dérogerait mystérieusement, bref, elles supposent qu’on donne crédit à un mythe du dehors et/ou de la totalité. Or, nul n’est besoin de se référer à un tel mythe pour justifier les limites de nos comptes-rendus de l’expérience psychanalytiques. On peut toujours s’efforcer de faire mieux, mais on peut aussi renoncer parce qu’on a mieux à faire, ce qui s’entend fort bien (et je renonce plus souvent qu’à mon tour) : après tout, l’immense majorité des analystes ne communique publiquement rien de leur expérience, les littérateurs compulsifs dont je suis (bien que ne publiant, sans l’aval de mes pairs, qu’une maigre part de ma production) demeurant statistiquement assez rares, et ça n’empêche pas les cures d’avancer honnêtement.

Dans quelles directions pourrait s’orienter ce travail d’écriture psychanalytique ?

Une contrainte majeure, dont l’importance tient à ce qu’elle rend possible la tenue de la séance psychanalytique elle même, est celle qui exige de préserver la confidentialité des informations recueillies durant les séances. Je voudrais montrer comment cette contrainte constitue en même temps la source de la réflexion sur l’écriture que j’appelle de mes vœux. En effet, s’abstenir de livrer des informations susceptibles de faciliter l’identification (au sen administratif) de tel ou tel patient, de trahir le secret, c’est-à-dire d’un point de vue moral, la confiance, dont on fait tant de cas (or, une confiance aveugle peut constituer le plus redoutable obstacle à l’investigation analytique), passer sous silence donc les détails permettant l’identification du patient, son apparence physique, ses goûts vestimentaires, sa profession éventuelle, etc., voilà qui devrait aussi constituer une règle de l’écriture clinique telle que je l’entends.

Soit dit en passant, Freud et bien des psychanalystes après lui ont totalement échoué à dissimuler l’identité de leurs patients ! Mais comment pouvaient-ils se douter que les historiens qui leur succéderaient feraient preuve d’autant d’obstination à déterrer les noms et les professions des patients qu’ils recevaient ? Nous devons quant à nous, informés du zèle des historiens, et dans cette atmosphère de divulgation généralisée, de « transparence » comme on dit (au moment de fixer des caméras à tous les coins de rue et d’installer des machines capables d’enregistrer les conversations téléphoniques, les déplacements géographiques, les activités de tout un chacun sur les réseaux dématérialisés), prendre des mesures supplémentaires. Or, je maintiens que cela constitue paradoxalement peut-être une chance pour la psychanalyse, par-delà cette affaire de confidentialité.

En quoi nous importent en effet ces descriptions plus ou moins réussies qui trop souvent viennent encadrer l’énoncé qui compte réellement pour l’examen psychanalytique ? Prenons l’espèce de vignette clinique suivante :

« Je reçois Nadine [cette manie de donner un prénom ! Qu’évidemment on suppose ne pas être le prénom du patient auquel on songe !], jeune femme d’une trentaine d’années, grande et brune dont la manière de se vêtir témoigne d’une conscience certaine de la séduction qu’elle exerce. Elle est attachée commerciale dans une entreprise etc., divorcée sans enfant, depuis deux ans. Toute la cure jusqu’à présent tourne autour de son sentiment d’être perdue, de se sentir incapable de prendre des décisions concernant sa vie affective, si bien qu’elle passe d’un amant à l’autre, et s’en trouve à chaque fois un peu plus désemparée. Son père.. etc. etc. etc. [suivent trois pages dans le même genre, surplombant avec sérénité, la sérénité de ceux qui occupent précisément cette position de surplomb, que procurent la lucidité et le savoir, des dizaines de séances, au sujet desquelles on n’apprend finalement rien du tout, récit d’un ennui profond qui ne donne rien à voir, du déjà pensé prémâché remâché sans risque et cousu de fil blanc, en tous points conformes à la vulgate psychanalytique auquel l’écrivain se réfère]. [Puis, on en vient au fait !] : ce jour là, Nadine entre dans le cabinet et déclare tout de suite : « C’est étrange : en attendant l’heure du rendez vous, assise dans le couloir, je me disais qu’il fallait faire attention à ne pas oublier encore mon parapluie. Ce qui est étrange, c’est que je ne me souviens pas avoir oublié mon parapluie chez vous. Pourquoi donc est-ce que j’ai peur de l’oublier “encore” une fois ? »

Je propose maintenant une toute autre manière de présenter cette séance, ou plutôt ce fragment prélevé sur cette séance ou cette cure :

(P) entre dans le cabinet et déclare tout de suite : « C’est étrange : en attendant l’heure du rendez vous, assise dans le couloir, je me disais qu’il fallait faire attention à ne pas oublier encore mon parapluie. Ce qui est étrange, c’est que je ne me souviens pas avoir oublié mon parapluie chez vous. Pourquoi donc est-ce que j’ai peur de l’oublier “encore” une fois ? »

Voilà à mon sens un bon point de départ, un point de départ largement suffisant et qui va droit à l’essentiel, c’est-à-dire ne vise pas une quelconque essence, mais dégage un fait qui nous importe psychanalytiquement, un énoncé riche de promesses, potentiellement énigmatique et donc propre à susciter une investigation qui vaille la peine. Une des règles que je préconise consiste à diriger la focale de notre observation, c’est-à-dire « choisir un fait » ou une série de faits (leur statut de « fait » demeurant d’ailleurs en suspens : nous supposons qu’il y a là quelque chose comme un fait psychanalytique, ce qui signifie que nous en attendons quelque chose, intuitivement, un soupirail donnant sur quelque crypte inconnue, c’est vers ce genre de « fait », toujours forcément hypothétique, que l’analyste tend à diriger son attention). Les lecteurs de Bion, et notamment de ces ouvrages les plus spéculatifs, à partir des années 60, seront là en terrain familier (« le fait choisi »). On chercherait en vain dans Transformations le genre de vignette clinique dont la littérature nous abreuve habituellement, mais au contraire, des énoncés secs, brefs, extirpés soigneusement de tout contexte. Procédé d’amplification, ou pour mieux dire, qui vise à l’hyperbole. La même discipline entraîne Bion à dissoudre l’idée même du patient comme totalité psychologique, identifiable par un prénom, des éléments biographiques (exceptés peut-être dans quelques rares passages où l’auteur semble encore faire quelques concessions à la tradition), si bien que les éléments cliniques examinés dans un livre comme Transformations sont probablement tirés de deux ou trois cures différentes, mais que rien ne permet de distinguer à quelle cure appartient tel élément : en vérité, ce genre de question n’a aucun sens.

Une des règles à laquelle j’essaie de me s’astreindre dans l’écriture clinique (j’emploie cette expression à défaut d’une autre pour le moment, mais elle ne me convient pas), oblige à ne mentionner que les éléments pertinents, dignes d’attention. C’est pourquoi je désigne tous les patients par une seule et même lettre (P), et passe sous silence la calvitie de celui-ci, le teint rose de celle-là, et l’embonpoint de tel autre – sauf évidemment s’il m’est apparu que ces éléments étaient digne d’un examen psychanalytique ! Je renonce (sans aucun regret) à l’idée du patient comme totalité psychologique, et du coup probablement à mettre en valeur la structure qui gouverne le psychisme de ce patient-là, pour privilégier la structure de la séance, telle qu’elle se manifeste dans l’élément sélectionné, prélevé. Dans l’exemple présenté ci-dessus, le simple énoncé « J’ai pensé que j’allais encore oublié mon parapluie, alors que je ne l’ai jamais oublié chez vous » suffit déjà largement à deviner les prémisses d’une conjonction constante, et oriente l’attention de l’analyste et du patient en direction d’une répétition, en même temps qu’il laisse entendre (par exemple) qu’effectivement, (P) a dû oublier quelque chose la dernière fois, et les fois d’avant. On peut noter que cette pensée est venue dans la salle d’attente, qui comme toujours, porte bien son nom (« la salle des attentes », ai-je l’habitude de dire à mes patients). Bref, ce simple énoncé suffit à ouvrir une perspective typiquement psychanalytique et prometteuse, point n’est besoin d’assommer le lecteur avec un résumé biographique ou un pseudo-exposé sociologique dont on peine à comprendre ce qu’il pourrait bien nous apporter (excepté nous perdre tout à fait dans les détails et nous éviter de prendre un élément intéressant à bras le corps. Et : laissons la sociologie par pitié aux sociologues, qui sont immensément plus qualifiés et mieux outillés que nous autres psychanalystes !). Je pars du principe suivant : il y a suffisamment dans les faits et gestes (j’y inclus les verbalisations) du patient pour susciter l’attention psychanalytique – ce par quoi nous nous distinguons d’ailleurs d’autres relations « thérapeutiques » apparentées. Ce qui m’importe est de découvrir la grammaire psychique du patient, dans la mesure où elle va structurer la séance, et donc engager ma propre grammaire psychique – et non pas un fonctionnement psychologique réductible à ce que nous savons déjà pour l’avoir lu dans un manuel ou un dictionnaire de psychopathologie. Ce qui m’importe est d’apprendre de lui une manière de penser qui m’est encore inconnue, et de parvenir à penser avec lui, en accord avec ses propres règles et suivre les modifications et les bouleversements qu’elles seront amenées à subir dans le cours de l’analyse – quitte à dérégler délibérément par la suite, le moment venu, cette machine à penser, par un acte analytique particulier, une interprétation par exemple. Le seul jargon qui me semble justifié dans une description de séance, c’est le jargon du patient lui-même : trop souvent le jargon d’un autre (Freud ou Lacan ou qui vous voudrez) se répand comme un poison dans nos textes et donne le sentiment que l’auteur, alors même qu’il prétend s’appuyer sur son expérience clinique, ne cesse pas de céder à la tentation de commenter encore une fois un autre texte que celui que le patient lui fournit.

Voilà pourquoi je pense que nous aurions beaucoup à gagner, quand nous entreprenons de communiquer quelque chose de clinique, à partir d’énoncés minimalistes, et prendre garde à ne pas nous laisser saturer ou bien par des détails inutiles ou bien par de trop ambitieux tableaux.

Pas plus que l’idée de totalité ou celle d’un dehors, d’une vérité dissimulée en deçà ou je ne sais où, l’idée de « produire un texte authentique », ou qui rende compte fidèlement, d’une « authentique séance », ne m’enthousiasme particulièrement. Si j’osais, je dirais en reprenant un mot de Ferenczi, que l’analyste, même quand il entreprend d’écrire, devrait s’efforcer d’être sincère : mais je ne crois pas au compte-rendu fidèle. Il vaudrait mieux assumer d’emblée que tout ce que nous pourrons écrire sera infidèle, partial, irréductiblement lié au fait que l’analyste est ce qu’il est, qu’il analyse avec ce qu’il est, et que son seul collaborateur, comme le disait joliment Bion, est le patient, et qu’il s’agit d’un collaborateur bien peu fiable. Une vérité nous importe, mais ce ne saurait être la vérité : bien plutôt cette vérité mutative, inextricablement confondue avec le devenir de la séance, du patient et de l’analyste. C’est pourquoi il me semble que nous devrions pas nous interdire de faire œuvre de fiction à l’occasion.

Finalement, il me suffit que la clinique marque le nord de la boussole du travail d’écriture que j’essaie d’évoquer, que le texte de la communication s’ancre dans la séance, ou cet éclat prélevé sur la séance, et constitue un moteur de transformation pour les séances à venir (de transformation de l’analyste pour commencer, de son appareil psychique). Si je garde à l’esprit et cet ancrage et cette destination, le seul risque que je cours est d’accorder une importance excessive à un fait marginal, ou de ne rien découvrir du tout, rien qui puisse en tous cas apporter de l’eau au moulin de la recherche, mais ce sont là de moindres maux, moindres en tous cas que celui qui consiste à recouvrir le matériau clinique de notre érudition, voire de l’étouffer. Si le patient vient, ce n’est pas pour qu’on le fasse taire encore une fois !