Le Révérend et les Papyrus magiques

Le Révérend Reehill, de l’école catholique de Nashville, Tennessee (comme le savent tous les fans de rock’n roll : Nashville se trouve dans le Tennessee) lit Harry Potter comme il lit probablement la Bible.
““These books present magic as both good and evil, which is not true, but in fact a clever deception. The curses and spells used in the books are actual curses and spells; which when read by a human being risk conjuring evil spirits into the presence of the person reading the text,”
Les littéralistes sont vraiment étonnants : on pourrait dire qu’à notre époque (désespérément) scientiste, ils résistent vaille que vaille en accordant au livre et au texte une puissance surnaturelle. Ce qui pourrait les rendre sympathiques d’une certaine manière. Je suis un fan des Papyrus magiques qui circulaient dans l’Antiquité, et des recueils oraculaires et divinatoires, dont l’étude d’ailleurs s’accordait fort bien avec la philosophie la plus rigoureuse – mes chers néoplatoniciens, tout rationalistes qu’ils soient, seraient facilement qualifiés aujourd’hui de superstitieux : même un Damascius, qu’on peut difficilement qualifier de “légèreté intellectuelle” composa une somme érudite sur le merveilleux (malheureusement perdue, compilant les récits de miracles, anecdotes étonnantes, lieux stupéfiants – rien d’étonnant d’ailleurs puisque pour un polythéiste, les dieux ne cessent de nous envoyer des signes ou des symboles destinés à notre édification). Mais je doute qu’aucun polythéiste ait jamais eu peur d’un codex ou d’un rouleau de papyrus ! (les choses se sont gâtées certainement plus tard, quand la possession d’un grimoire pouvait vous valoir le bûcher – mais l’ampleur des chasses aux sorcières demeure un sujet de controverse chez les historiens, je n’en parlerai pas ici – je doute cependant que ce grimoire ait réellement effrayé quiconque, il s’agissait plutôt d’un prétexte pour s’en prendre à des rivaux de l’Église). Notre Révérend croit mordicus au pouvoir des mots (couchés sur une feuille), il est un adepte du “performatif” généralisé sans doute – ce en quoi il n’a pas tout à fait tort, notez-le : la dimension de “propagande” après tout, constitue assurément un des aspects du texte et des discours publiés, qui font leur petit effet et parfois leur grand – et ça ne date pas d’hier.
Mais là il s’agit d’autre chose. Notre révérend a réellement peur de ce livre, ce qui nous amuse précisément parce que nous disposons dans notre conception de la production écrite une case dont il ne dispose pas, c’est-à-dire qu’entre la religion et la science, nous concevons d’immenses territoires qui ne relèvent ni de l’une ni de l’autre, mais d’une troisième catégorie : la fiction, l’imaginaire – qui ne saurait se frotter aux deux autres du point de vue de la vérité (sinon de manière indirecte ou métaphorique, comme quand on dit : il y a du vrai dans ce roman, etc).
Ce pourquoi d’ailleurs j’évoquais (comme quoi j’ai de la suite dans les idées) les cultures païennes antiques : on ne trouvera pas (ou une fois chez Varron, et encore dans un contexte très spécifique) l’expression “religion vraie” – dans un monde méditerranéen où les dieux de nombreuses cultures folâtraient gaiement, se mélangeaient, “se traduisaient” sans aucun souci. Évidemment, notre bon Révérend s’offusquerait qu’on lise la Bible comme un récit littéraire, une histoire romancée, un patchwork de traditions diverses, de cultures mêlées, ce qu’elle est pourtant. Et j’imagine que ses faiblesses épistémologiques l’empêche de tenir les discours scientifiques pour autre chose qu’une vérité rivale produite par un monde viscéralement anti-religieux etc.. Donc au fond, il est aussi buté que les scientistes de l’autre bord (car il ne faut pas se leurrer, la faiblesse intellectuelle de bien des scientifiques d’aujourd’hui les rend parfois tout aussi incapables de donner une valeur quelconque à ces savoirs qui ne se laissent pas traduire en diagrammes et en algorithmes – le savoir religieux par exemple, relégué sans autre forme de procès dans la superstition pure et simple, sans parler de la poésie ou de la psychanalyse).
Bref. C’est non seulement amusant, mais aussi intéressant. (cela dit je me fiche complètement d’Harry Potter dont je n’ai pas lu une ligne, mais c’est une autre histoire)
Illustration : Charme d’amour commandité par Hermeias, qui demande au dieu Anubis de lui donner les faveurs de Titérous, fille de Sophia. (BNUS inv. 1167), source Wikipedia.