La signification spirituelle de la vie insulaire dans les sermons d’Isaac de l’Étoile

1S.14, 11. Cf. S.27, 1 : “cette île, la dernière de toutes les terres”

2S.18, 2. Cf. S29, 18 : “ce bout du monde… environné par la mer”.

3S.19, 24. Cf. S. 31, 20 : “cette île à l’écart du reste du monde”.

4S. 27, 1.

5On pourrait reconstituer l’histoire des recherches relatives à la biographie d’Isaac en énumérant les travaux suivants : F. BLIEMETZRIEDER , « Isaak von Stella, I, Beitrage zurLebensbeschreibung », Jarchbuch für Philosophie und spekulative Theologie, XXVIII, 1904, p.1­35; « Isaac de Stella : sa spéculation théologique », Recherches de Théologie ancienne et médiévale, IV, 1932, p.48­61 ; J. DEBRAY­MULATIER , “Biographie d’Isaac de Stella”, Cîteaux, X, 1959, p. 178­198 ; G. RACITI , “Isaac de l’Étoile et son siècle. Texte et commentaire historique du sermon XLVIII”, Cîteaux, XII, 1961, p. 281­306 ; XIII, 1962, p. 18­34, p. 132­145, p. 205­215 ; G. SALET , Introduction aux Sermons d’Isaac de l’Étoile, Tome I, Cerf, Sources Chrétiennes n°130, 1967 ; G. RACITI Article “Isaac de l’Étoile”, in Dictionnaire de Spiritualité, VII2, col. 2011­2038, 1971 ; « Pages nouvelles des sermons d’Isaac de l’Étoile dans un manuscrit d’Oxford », Collectanea Cisterciensia, XLIII, 1981, p.34­35 ; C. GARDA, “Du « Du nouveau sur Isaac de l’Étoile », Cîteaux, XXXVII, 1986, p.8­22 ; G. RACITI , Isaac de l’Étoile, Sermons, tome 3, Cerf, Sources chrétiennes n°339, Note complémentaire n°33, p. 316­319.

6Cf. texte latin dans J. P. MIGNE, Patrologia latina, t.194, c. 1689­1876. L’abbé MIGNE reprend B. TISSIER, Bibliotheca patrum cisterciensium, t. VI, Bonnefontaine 1662, p. 1­77.

7Seuls les sermons 14 et 15 contiennent des allusions assez nettes aux rigueurs de la vie insulaire. Dans son essai de datation des sermons d’Isaac, Gaetano RACITI les date de l’année 1173 et pense qu’ils ont été prononcés à l’abbaye des Châteliers (N.D. de Ré) [À ne pas confondre avec l’abbaye cistercienne (mais fille de Clairvaux) du même nom, sise en la commune de Fomperron, dans le canton de Ménigoute. L’abbaye rhétaise est située sur la commune de La Flotte. Il existe un mémoire complémentaire de D. E. S. sur les ruines de ces bâtiments : Mlle DAGUISÉ, L’abbaye de N. D. des Châteliers. Commune de La Flotte. Ile de Ré, Poitiers, 1973. Voir également la notice historique de E. ATGIER dans la Revue du Bas-Poitou, 1906, p. 11-19 (extraits)]. Des raisons de critique interne l’invitent à placer par ailleurs le sermon 15 avant le sermon 14. Il semble également douter que l’on puisse intégrer le sermon 13 dans l’ « opuscule » constitué par les sermons 14 et 15. Nous ne statuerons pas quant à nous sur ces questions. Cf. G. RACITI, Article “Isaac de l’Étoile”, in Dictionnaire de Spiritualité, VII2, col. 2017­2018, 1971

8Il importe en effet de rester prudent quant à la détermination du lieu de composition des sermons. Qu’ils contiennent des allusions à l’île de Ré ne signifie pas pour autant qu’ils aient été rédigés ou prononcés, sous la forme que nous leur connaissons, sur l’île. Sur ces questions cf. l’Introduction générale de G. SALET à l’édition des sermons d’Isaac, p. 31-35.

9Traduction de l’École Biblique de Jérusalem, Desclée de Brouwer, 1955. La mer en question est la mer de Galilée ou « lac de Tibériade ». Nous citons en italiques les passages bibliques. Parallèles : Marc 4, 35-41 et Luc 8, 22-25. Le texte de Matthieu est probablement celui que commente Isaac. Seul Matthieu indique que les disciples « suivent » Jésus dans la barque, inscrivant ainsi l’épisode dans une perspective catéchétique. Voir à ce sujet Xavier Léon-Dufour, Les Évangiles et l’histoire de Jésus, Seuil, 1963, p. 274.

10Nous notons ainsi entre parenthèses le numéro du sermon et le paragraphe correspondant dans l’édition S.C.

11S. 12, 4 = Genèse, 28, 12.

12C’est l’interprétation traditionnelle du passage depuis Tertullien. Les Psaumes, comme nous le verrons chez Isaac, sont souvent mis à contribution pour faire écho à ce texte de Matthieu : cf par exemple le Ps. 106 et le commentaire de saint Augustin in Enarrationes in Psalmos (V, 23­31).

13Ce thème revient souvent sous la plume d’Isaac : l’exemplarité de l’incarnation du Christ et de son sacrifice détermine l’essentiel de la morale cistercienne. Cf., par exemple pour Aelred de Rielvaux, la communication de Pierre André BURTON, « Contemplation et imitation de la Croix : un chemin de perfection chrétienne et monastique d’après le Miroir de la Charité », in Collectanea Cisterciensia 55, 1993, p. 140-168.

14Matthieu 3, 14­15.

15Noter également l’application de cette loi au doctor, le maître, le professeur, qui doit avoir écouté, avoir gardé silence, avant de dispenser son enseignement (S. 13, 5). Isaac songe-t-il ici à ses propres années d’études?

16Sur le sujet voir A. FRACHEBOUT, “Le portrait de l’Abbé aux origines cisterciennes”, Collectanea Cisterciensia, XLVIII, 1986, p. 216­234.

17Noter la référence au Psaume 103, 25 : “Voici la grande mer aux vastes bras” et le datif manibus chez Isaac. Ce qui fait la force de l’Église, ce pourquoi elle navigue encore, pour Isaac, c’est le nombre de ses fidèles.

18Dans la grande étude de H. RAHNER, Symbole der Kirche. Die Ekklesiologie der Väter, Salzburg, 1964, p. 239-564, on trouvera un dossier complet sur ce sujet. Il n’est pas rare que la mer soit également le symbole des Saintes Écritures. Sur ce sujet on lira particulièrement l’article d’E. JEAUNEAU, “Le Symbolisme de la mer chez Jean Scot Érigène”, in Le Néoplatonisme, Royaumont, 9­13 juin 1969 (Paris 1971; Colloques Internationaux du C.N.R.S.), p. 385­392, repris in É. JEAUNEAU, Études érigéniennes, Études augustiniennes, Paris 1988, p. 287­296.

19L’héritage philosophique et spirituel de cette expression platonicienne (Politique 273d) et plotinienne a été étudiée dans l’article de P. COURCELLE, « La Région de dissemblance », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, 1957, p. 5-53. Cf. également la notice 26, Regio Dissimilitudinis, rédigée par A. Solignac pour l’édition des Confessions de saint Augustin [= Oeuvres de saint Augustin, 2ème série, vol. 13, Études Augustiniennes, 1992, p. 689-693, avec la bibliographie indicative p. 693]. Isaac parle d’une regione dissimilitudinis et d’une terra aliena, dans le sermon 2, 13. On notera que l’expression platonicienne évoque l’Océan sans fond de la dissemblance ». Le Politique de Platon, d’ ailleurs, est imprégné de ces métaphores maritimes.

20Gen. 1, 2. Nous citons ici la traduction de la Septante par M. HARL, La Bible d’Alexandrie, LXX, tome 1, La Genèse, Ed. du Cerf, 1986, p. 85. Les latins ont souvent interprété le verbe grec epephéreto par des verbes évoquant l’incubation, la chaleur (incubat, fovebat, confovebat). Cf. M. HARL, Op. cit., p. 87 et la remarquable note philologique de saint Augustin, De Gen. ad litt., 1, 18, 36, citée en note par G. RACITI, dans le tome III des sermons d’Isaac aux Éd. du Cerf, p. 63.

21Voir les deux textes d’Isaac sur Gen., 1, 2 : S. 43, 3-4, et S. 45, 16-17, où se trouvent les traces d’un savoir scientifique, hérité de la science hellénique, assez surprenant pour un moine du XIIè siècle. Plus loin dans le sermon 15, Isaac cite le début du psaume 68 : « Sauve-moi, car les eaux me sont entrées jusqu’à l’âme… Je suis entré dans la profondeur de la mer et la tempête m’a englouti. » (S. 15, 3)

22L’expression magnum mare, appellation traditionnelle de l’Océan Atlantique, est employée à deux reprises : S. 2, 6 ; S. 27, 1.

23Littéralement : « …tirons le spectacle extérieur vers l’enseignement intérieur (exteriora visa ad interiorem eruditionem trahamus). »

24S. 44, 1. (Rom. 1, 20.) Le sermon 44 présente une belle interprétation eucharistique des travaux saisonniers.

25Cf. S. 9, 3 (Frachebout p. 173), S. 24, 3 : « …tout ce qui se révèle dans la copie est nécessairement venu du modèle. », S. 45, 18, S. 47, 13 et S. 25, 4, reprenant la parole de I Cor. 14, 10 : « Nihil est sine voce ». Voir la note complémentaire 5 de G. SALET au premier tome des sermons d’Isaac, p. 354-336. Ce thème est évidemment d’origine platonicienne. On sait que dans les « écoles » du XIIème siècle, Platon est considéré comme un « théologien » par opposition à Aristote. Mais on ne le connaît que par des témoignages indirects, plus ou moins bien inspirés, et par la fameuse traduction latine de Calcidius ( = la partie cosmogonique du Timée). C’est pourquoi il est quelque peu audacieux de prétendre qu’Isaac ait réellement lu le Timée.

26Voir par exemple la scène de la prédication sous l’yeuse, S. 24, 1 : « C’est pourquoi, fatigués à l’excès par ces semailles terrestres, étendons-nous un moment sous le feuillage de cette yeuse largement ouverte que vous voyez près de nous ; et là, non sans nous soumettre intérieurement comme en sueur, secouons la graine du Verbe divin, broyons-la, humectons-la, faisons-la cuire, mangeons-la, pour ne pas tomber d’inanition et de lassitude. »

27Guillaume de Saint­Thierry, Vita Bernardi, Ia, cap. 4, 23­24; P. L. 185, col. 240­241. Cf. la fameuse lettre de saint Bernard à Henri Murdach : « On apprend plus de choses dans les bois que dans les livres, les arbres et les rochers vous enseigneront des choses que vous ne sauriez entendre ailleurs » (Ep. CVI, P. L., t. 182, col. 242).

28Sur le sujet, il faut lire l’étude originale du frère Jean-Baptiste AUBERGER, O. F. M., L’Unanimité cistercienne primitive : mythe ou réalité ?, Commentarii Cisterciensies, Éd. Sine Parvulos, B 3590 Achel, 1986, p. 4-182.

29Le thème du spectacle du monde extérieur dans les sermons d’Isaac mériterait à mon sens une étude spécifique. Nous ne faisons ici que dégager quelques pistes de recherche. Une telle recherche aurait le mérite de nuancer quelque peu le thème du contemptus mundi, du « mépris du monde », présent dans les sermons d’Isaac, comme chez la plupart des auteurs médiévaux. Cf. par exemple S. 18, 10-15.

30Sur l’absence d’intermédiaire entre l’âme et la chair, cf. S.40, 7 : « ..le troisième lien d’amour humain, celui entre le corps et l’âme … est d’autant plus fort qu’il est plus intime. »

31Noter le jeu de mot mundo /immundi.

32S. 6, 3 : « Ainsi abandonné, il [Adam] est tombé aux mains de celui auquel il a été livré, aux mains du diable, qui, sans aucune pitié, l’a dépouillé, couvert de plaies, laissé à moitié vivant. Celui qui est totalement mort l’a laissé à moitié vivant, autant dire à moitié mort. Car la vie des hommes est mortelle, au point d’être aussi une mort vivante, tandis que la mort du diable est totalement mortelle, n’ayant rien pour être rappelée à la vie ; et, d’autre part, la vie de l’ange est totalement vivante, n’ayant rien pour l’incliner à la mort. »

33S. 7, 11 : « Par conséquent ni la chair ni l’âme ne demeurent même un instant dans l’état où la création les a appelées à l’être ; mais par une tare originelle [per vitium originis], elles retournent au non-être en commençant d’être. Et ainsi, d’une manière merveilleuse et malheureuse, en elles l’être ne précède pas le non-être, la venue ne précède pas le retour, la montée ne précède pas la descente ; l’âme misérable ne commence pas par donner la vie avant de recevoir la mort, la malheureuse chair ne commence pas par recevoir la vie avant de donner la mort : la chair met à mort son principe de vie, l’âme donne la vie à son principe de mort. »

34Cf. supra p. 7.

35S. 15, 4 : « … ce fameux déluge où l’abîme couvrait la terre comme d’un vêtement, où les eaux dépassaient toutes les montagnes, de manière que nulle part n’apparaissait le sol. »

36I Pierre 3, 20 = Gen, 6, 18.

37C’est le second moment de l’anthropologie dynamique d’Isaac. Cf. S. 41, 9 : « Premièrement, je t’ai créé “âme vivante” [in animam viventem] ; deuxièmement, je t’ai restauré “esprit vivifié” [in spiritum vivificatum] ; troisièmement, je t’ai achevé “esprit vivifiant” [in spiritum vivificantem], capable de vivifier la chair sans aucun aliment et de vivre lui-même de ma face sans aucun sacrement. »

38Voir le beau texte de la fin du sermon 54, 14-16. « La chaîne d’or » est un thème classique de l’allégorie homérique (Iliade, VIII, 17­27). B. McGinn a publié une vaste étude sur le sujet intitulée : The Golden Chain. A study in the Theological Anthropology of Isaac of Stella, Washington 1972, que nous n’avons pas pu malheureusement nous procurer.

39Par exemple, Ps. 64, 8 ; 45, 4 ; 107, 23-31 ; 89, 10. On y retrouve toujours l’image de Dieu apaisant la tempête.

40S. 13, 2.

41Cf. S. 39, 16 et 32, 20.

42Les documents édités par Claude GARDA, “Du nouveau sur Isaac de l’Étoile”, Cîteaux, 37, 1986, p. 8-22, donnent un aperçu des difficultés rencontrées par les moines de l’Étoile pour assurer le développement de leur abbaye. Des procès opposent ainsi Isaac aux seigneurs de la région, procès qu’arbitre généralement l’évêque de Poitiers en place (Gilbert de la Porrée, puis Jean de Bellesmains). Cet « affairisme » ne convient sans doute pas à l’idée qu’Isaac se fait de la vocation cistercienne, comme le prouve ce texte tiré du sermon 37 : « Est-ce là autre chose, dites-moi, que les rivalités, les jalousies, les procès entre les hommes religieux et spécialement les moines de notre temps, pour des terres, des forêts, des pâturages, des troupeaux? Ils n’ont jamais assez de terres pour les hommes, assez d’hommes pour les terres, assez de pâturages pour les troupeaux, assez de troupeaux pour les pâturages : « Tout cela_monte à mes oreilles » , dit le Dieu des armées. Que ce soit là le motif pour lequel le nom et l’estime de la vie religieuse se sont avilis aux yeux des hommes, l’ignorer, c’est ne rien savoir. » (S. 37, 22)

43« Acedia ». Le terme vient du grec akêdia qui signifie le dégoût, l’anxiété, la peine de cœur. Un long texte de Cassien, De instit. Caenob. X (Texte et trad. par J. C. GUY, S.C. 109, p. 282 et suivantes) a inspiré la tradition monastique occidentale de l’acedia. Voir l’article « acedia » dans le Dictionnaire de Spiritualité, t. I, col. 166-169 (G. BARDY), et dans l’encyclopédie Catholicisme, t. I, col. 74-75 (J. LECLERCQ). Cf. S. 25, 14, où Isaac distingue l’acédie de l’inquiétude (sollicitudo) et du souci (cura) : « L’inquiétude est un mal qui excite ; le souci, un pire mal qui déprime ; l’acédie le pire mal qui désagrège [acedia pessime dissolvit]. » Chez Cassien comme chez Isaac, un des remèdes proposés pour lutter contre l’acédie est le travail manuel.

44Ces discours oiseux, tout comme les « murmures » de S. 15, 6, s’opposent au silence et au recueillement, auxquels Isaac exprime son attachement dans une belle page du sermon 30 (S. 30, 5-6).

45Isaac pense ici à Luc, 39­40 et Jean 11.

46C’est une des caractéristiques de l’esprit cistercien d’avoir pris en compte dans sa règle de vie la complémentarité de l’action et de la contemplation. Dans la lignée du platonisme de l’époque, et plus précisément de celui de Plotin, Origène avait déjà noté cette complémentarité dans son commentaire de l’Évangile de Luc : « …l’action et la contemplation ne vont pas l’une sans l’autre » (fragm. In Luc, 10, 38). Comme Isaac, il se réfère à la symbolique de Marthe et Marie dans son commentaire de l’Évangile de Jean : « C’est parce qu’elle est moins parfaite que Marthe court vers Jésus ; Marie l’attend à la maison pour l’y accueillir, car elle peut recevoir sa venue. » (fragm. In Ioan., 80) Cette thématique, nous le verrons, trouve son application dans la philosophie cistercienne du travail, mais également dans la conception qu’Isaac se fait de la charité. Cf. nos remarques infra, p. 18.

47Noter la subtilité du jeu des pronoms personnels sui et mei. Sur la théologie de la prédestination voir principalement les sermons 34, 35 et 36, et la note complémentaire 25 (Tome II, p. 347).

48J. LECLERCQ, « Le Travail : Ascèse sociale d’après Isaac de l’Étoile. Consommation et production. », Coll. Cist., XXXIII, 1971, p.159-166. Voir également mon étude : «Le Moine au travail dans les sermons d’Isaac de l’Étoile » (non publiée).

49La charité est donc liée chez Isaac au travail, c’est-à-dire à l’action. Certes, la véritable fin de la vie humaine, c’est la contemplation, « mais comme il est difficile en fait d’être dans ce siècle sans être contaminé par lui, c’est encore pour celle-ci qu’il faut fuir loin de ce siècle. Et comme, d’autre part, ce repos si doux et aimable de la contemplation, où doit s’exercer toute la force de la raison, où doit se fixer tout l’élan de l’affectivité, trouve son seul obstacle, sans qu’il y ait faute, et même de façon louable, dans l’amour raisonnable et le souci du prochain, c’est sans doute pour cela que, dans la phrase qui précède, l’apôtre a introduit : [Jac. 1, 27] (…) Et le fait de nous adonner au travail et aux tâches matérielles, pour avoir de quoi subvenir à celui qui est dans la nécessité, c’est-à-dire à notre corps, encore animal, n’est pas du tout étranger à la charité envers le prochain. » (S. 25, 9­10)

50S. 50, 18. Voir le passage très éclairant du S. 25, 13­14 : « Voyez donc, frères, avec quelle ferveur d’esprit, avec quel élan infatigable nous devons écarter les pensées sans intelligence (…) Pour pouvoir le faire avec plus de liberté et de loisir, vous avez même chargé quelqu’un d’autre [= l’abbé] des soucis indispensables du corps animal. Si le travail vous est assigné par un autre, l’inquiétude vous est ôtée, le souci défendu (…) En effet, l’âme qui dans le repos se livre à l’acédie, perd le profit de l’action sans trouver le moins du monde la lumière de la contemplation. » Voir également S. 20, 10, tout à fait caractéristique de la manière d’Isaac, toujours sensible aux difficultés que rencontrent ses auditeurs pour s’élever avec lui jusqu’à l’intelligence des plus hauts mystères de la théologie : « Eh bien ! mes frères, puisque nous nous sommes fatigués à voler, reprenons pied, descendons à ce qui nous reste du travail du jour, faisons alterner le travail de l’homme et le vol de l’oiseau, instruits et aidés ici et là par celui-là même qui a présenté en lui le modèle de l’un et de l’autre, Jésus-Christ notre Seigneur, qui, avec le Père et l’Esprit-Saint, vit à travers tous les siècles. » On notera avec intérêt que le Christ, dans sa double nature, humaine et divine, est appelé à justifier une nouvelle fois un aspect original des observances cisterciennes. Cf. l’émouvant témoignage du sermon 35, 1. Cf. également le principe de l’alternance tel qu’il est énoncé par Bernard de Clairvaux : « Bien que les choses de l’esprit soient meilleures, on ne pourra y parvenir que grâce aux observances extérieures et corporelles. » (Apologia, VI, 12 ; VII, 13).

51Le cheminement est un thème récurrent dans la pensée d’Isaac : Isaac pérégrine, au sens propre, dans le monde, de l’Angleterre à l’île de Ré, et, au sens figuré, à travers les saintes Écritures. La spiritualité est une quête incessante de l’unité à travers la multiplicité de ses manifestations, une recherche que motivent la foi, l’espérance. Voici une liste des occurrences les plus frappantes de ce thème : S. 1, 18 ; S. 2, 6 ; S. 5, 14 et 19 ; S. 18, 10 ; S. 20, 2 ; S. 21, 14 ; S. 23, 18 ; S. 32, 13 ; S. 35, 8 ; S. 37, 18 ; S. 48, 16. Toutes les pérégrinations d’Isaac s’orientent autour du verset johannique 14, 6 : « Moi, je suis le chemin, et la vérité et la vie. Personne ne vient au Père sinon par moi. » (Trad. Sœur JEANNE D’ARC, Belles Lettres, D. D. B., 1990.) Une belle étude serait à mener sur ce sujet. Voir infra notre conclusion.

52Sur la pénitence, cf. S. 27, 15­18 : « Que le père Abbé soit le bourreau de nos corps… » et le commentaire de T. MERTON, Les voies de la vraie prière, Paris 197O, p. 128-129. Cf. S. 15, 10 et saint AMBROISE, In Luc, 4, 2.

53S. 14, 1 : « Qu’est­ce à dire, mes bien-aimés, sinon que le Seigneur a provoqué ce qui réveillerait les disciples dont le cœur était endormi. » Cf. S. 13, 10 : « Pourquoi cet ébranlement? Pourquoi cette peur ? Assurément parce que s’est endormie leur force et leur sécurité. Comment ne régnerait pas la peur, quand la force est endormie ? Que soit donc éveillé le vent, tandis que le Christ est endormi, que soit éveillée la rage de la mer, tandis que la foi au Christ est endormie. »

54Cf. S. 15, 10 : « Le vent et la mer lui obéissent [Matth. 8, 27] : ce n’est qu’avec sa permission, et comme durant son sommeil, que la tentation intérieure ou extérieure, supérieure ou inférieure, a quelque pouvoir ; qu’il menace, elle ne peut rien. »

55Voir le commentaire de J. LECLERCQ, article cité. Cf. également S. 50, p. 181, note 1 et la note complémentaire n°30, p. 312­313.

56Isaac rappelle aux moines endormis l’importance des trois exercices spirituels traditionnels que sont la lecture, la méditation et l’oraison (S. 14, 7-9) Sur ces exercices de vigilance, voir la note complémentaire n°14, p. 345-346.

57L’homme doit lutter pour demeurer à l’état de veille. Les anges, eux, veillent éternellement : Isaac, dans ses sermons théologiques les nomme les « veilleurs » (vigiles). Cf. S. 19, 3 ; S. 21, 10.

58Cf. la dernière parole du sermon 13 : « C’est pourquoi, mes frères, placés entre la crainte et l’espérance, tenons éveillée en nous la foi en Notre-seigneur Jésus-Christ. » (S. 13, 13)

59S. 15, 4­5. Cf. supra notre commentaire p.19.

60Dans le sermon 13, Isaac évoque déjà, mais avec un peu de réserve, l’analogie sommeil/mort : « Excitons en nous la foi au Christ et le souvenir de sa passion et pour ainsi dire de sa dormition ! Car peut-être cette dormition est-elle susceptible de signifier la passion. » (S. 13, 12).

61Sur cette doctrine souvent reprise dans les sermons, voir S. 11, 14-15, et la note complémentaire 13, p. 344-345 (qui donne bon nombre de références chez Isaac). Sur l’histoire du thème du « corps mystique », voir principalement H. de LUBAC, Corpus Mysticum, Aubier-Montaigne, coll. Théologie, 1941, qui mentionne Isaac de l’Étoile p. 121.

62Ce point constituera le sujet de notre conclusion générale.

63Cf. 14, 6 ; 22, 1.

64Nous reviendrons sur ces différents points. Cf. infra. notre conclusion.

65Selon l’hypothèse de G. RACITI, Isaac de l’Étoile, Sermons, tome 3 Cerf, Sources chrétiennes n°339, Note complémentaire n°33, p. 316-319.

66Les ruines de l’église monumentale (plus de 40 mètres de long) que nous pouvons admirer aujourd’hui entre Rivedoux et La Flotte, datent du XIVè siècle. Il ne reste sans doute rien des bâtiments primitifs, mis à mal par deux attaques successives des Anglais au XIIIè siècle.

67Ce nécessaire ressourcement aux principes mêmes de la vie communautaire s’exprime par exemple dans ce texte : « Ainsi donc, soyons compatissants les uns pour les autres et pleins d’amour fraternel, supportons les faiblesses et poursuivons les vices, nous surtout qui, peu nombreux, en vue d’un genre de vie à l’idéal plus austère, nous sommes évadés dans cette lointaine solitude et cette île à l’écart du reste du monde [maxime qui pauci propter arduioris propositi disciplinam in hanc abditam solitudinem et semotam ab orbe communi insulam evasimus]. » (S31, 20) Isaac songe sans doute au petit groupe de moines, qui, en quittant le monastère de Molesmes, fondèrent l’abbaye de Cîteaux. Voir C. W. BYNUM, “The Cistercian conception of community : An aspect of Twelfth­Century Spirituality”, Harv. Theol. Rev., 68, 1975, p. 273­286.

68Ce « désir de fuite », cette « soif de solitude », peuvent évidemment être mis au crédit de la thèse de la « sainte fugue », soutenue par G. SALET (Cf supra p. 5). Mais on pourrait également imaginer qu’Isaac avait été « forcé » de fuir, à la suite de l’affaire Thomas Becket (Cf. les articles cités de G. RACITI). Isaac, qui tend à donner un sens spirituel à chaque événement de sa vie, peut avoir « choisi » de fuir, non seulement pour des raisons « diplomatiques », mais aussi pour des raisons intérieures. Néanmoins, en l’absence de certitude concernant les conditions de l’exil à Ré, la confrontation de ce texte et de celui du sermon de la pérégrination (Tome 3, fragment 2) laisse le lecteur forcément dubitatif.

69Cette aridité peut être, à la limite, entendue au sens propre : une des difficultés matérielles les plus préoccupantes pour les moines devait être probablement la rareté de l’eau douce.

70 Sur la place et la fonction des frères convers au sein des monastères durant le moyen âge, voir Jean LECLERCQ, “Comment vivaient les frères convers ?”, Analecta Cisterciensia, XII, 1965, p. 239-258.

71Dans un autre sermon, qui fait très probablement référence à cette expérience insulaire, Isaac écrit : « Nous avons excité contre nous Léviathan qui a tendu des pièges aux ermites novices que nous étions. Nous qui espérions être des solitaires bien assurés de leur tranquillité, nous nous sommes heurtés au tentateur astucieux et au perfide dresseur d’embûches. » (S32, 2) Noter l’expression : « novi eremitae » et la référence au Léviathan, le monstre marin de Job, 3, 8.

72S. 27, 3 : « Les oiseaux, pour prendre d’un coup d’aile leur essor dans les airs, s’appuient à fond, de tout leur corps, sur le sol où ils se tiennent. Les hommes et les bêtes sauvages également, selon un même art de la nature, ou un art de même nature, ou plutôt selon un art aussi naturel, lorsqu’ils veulent bondir très haut, se tapissent à ras de terre, comme en se ramassant de tout leur corps. Ainsi en est-il de nous… » Il y aurait beaucoup à dire sur ce texte, qui manifeste une nouvelle fois l’attention que porte Isaac au monde — en tant qu’il est le livre de Dieu—, et sur le thème du vol de l’oiseau (nous avons déjà rencontré l’analogie entre le vol de l’oiseau et la contemplation opposée au travail terrien). Isaac est lui-même cet homme qui travaille la terre, mais dont l’âme demeure tournée vers le ciel, réalisant cet équilibre qui lui est cher. Sur ces thèmes, lire mon étude : « Le moine au travail chez Isaac de l’Étoile » (non publiée).

73Cf. Juan Maria DE LA TORRE, “Le Charisme cistercien et bernardin (II)”, Coll. Cist. 47, 1985, p. 285.

74Cf le fameux second fragment retrouvé par J. LECLERCQ et publié par G. RACITI dans le troisième tome des sermons d’Isaac.

75Sermons 18 à 26. Un excellent commentaire de ces sermons, où s’exerce une profonde spéculation théologique, a été donné par B. Mc GINN, « Isaac de Stella on the divine Nature », Anal. Cist. , XXIX, 1973, p.3-56. L’influence de la théologie dyonisienne, qu’Isaac a pu connaître à travers l’œuvre d’Hugues de Saint-Victor et de Jean Scot Érigène, est sensible en de nombreux passages. Sur le sujet cf. A. FRACHEBOUD, « Le Pseudo­Denys l’Aéropagite parmi les sources du cistercien Isaac de l’Étoile », Coll. Cist., IX, 1947, p. 328­341; 10, 1948, p.19­34 ; I. CALVERT, « Symbols of Ascent : Pseudo­Dyonisius and Isaac de Stella », Hallel, XVI, 1988, p.72­78 ; H. Mc CAFFERY, « Apophatic Denis and Abbot Isaac de Stella », Cist. Studies, XVII, 1982, p. 338­349.

76Voir par exemple S. 20, 3 : « Mais où irons-nous, Seigneur notre Dieu, en dehors de l’universalité des êtres ? Quelles ailes nous emporteront au-dessus de toute substance corporelle et charnelle, nous les hommes appesantis par la chair, alourdis par les péchés, pour te chercher, nous à qui rien ne pourra suffire ni agréer en dehors de toi ? Seigneur, voici que pour toi nous avons trouvé grâce devant toi, montre-toi à nous toi-même dans ton attirance et ton amabilité. »

77Sur la pénurie de livres à laquelle Isaac est confronté sur l’île de Ré, cf. S. 22, 1.

78On sait l’importance, dans la pensée symbolique cistercienne, de la Jérusalem céleste, le paradis futur, dont le carré du cloître est la parfaite image. Sur ce sujet, voir Jean LECLERCQ, « Le cloître est-il un paradis ? », in Le message des moines à notre temps, Paris 1958, p. 141­159 et J. M. DE LA TORRE, art. cité p. 293 et suivantes.

79L’abbaye des Châteliers est sise à quatre cent mètres environ de l’océan.

80On pourra comparer ce texte avec la belle page du S. 33, sermon qui toutefois ne fait pas référence à l’expérience insulaire : « O Seigneur Jésus, qui pourra tenir face à ta froidure ? [Ps. 147, 17] Pourquoi même une tentation frivole fatigue-telle l’homme qui désire uniquement les biens solides et éternels ? Pourquoi l’immonde souvenir du monde veut-il ramener en arrière l’âme que l’amour du ciel a une fois tirée du monde ? Pourquoi ne peut-on, comme on le veut, te suivre librement, quand on ne cherche que toi ? » (S. 33, 15)

81Cf. Act., 2, 45­47 ; 4, 32­35 ; 5, 12­16.

82La métaphysique du feu est un thème traditionnel de la mystique chrétienne. Isaac identifiera lui-même l’Esprit Saint au feu qui « embrase les disciples » (S. 43, 15). On trouvera un bon article sur cette question à propos de Jean Scot Érigène, de la plume d’É. JEAUNEAU, « Jean Scot et la Métaphysique du feu », in Études érigeniennes, Études augustiniennes, Paris 1988, p. 297­319.

83Sur la fondation de Cîteaux et les premiers documents qui circulèrent au XIIè siècle sur cet événement, voir J.B. AUBERGER, op. cit.

84Trouvent grâce aux yeux d’Isaac les Chartreux (pour leur pauvreté et leur solitude extrêmes), et les moines de l’ordre de Grandmont (mais il les soupçonne, avec raison, « de saluer beaucoup de ceux qu’ils croisent sur leur route », c’est-à-dire de mendier). Voir S. 2, 7.

85Voir l’accusation portée à l’encontre de certains moines et abbés dans le sermon 37, 22-23.

86Accusations portées dans le sermon 43, 12, contre ceux qui, parmi les prêtres ou les évêques, « préfèrent le pouvoir à l’être ».

87Relevons ce texte limpide, où le thème du travail apparaît une fois encore. « La conversion vers Dieu par la recherche et l’imitation, c’est le jour où l’homme sort pour son travail, qui est de connaître et d’aimer Dieu, et de se réjouir dans cette connaissance et cet amour. C’est en effet pour cela que l’homme a été créé à l’image et à la ressemblance de Dieu ; il se refait et se reforme à cette ressemblance et à cette image : son amour reproduit l’image, et en sa conduite resplendit la ressemblance. » (S. 16, 15).

88Sur la connaissance de soi-même voir S. 2, 13-15, et le commentaire de M. M. DAVY, « Le rôle de la connaissance de soi dans l’école cistercienne du XIIè siècle », Vie Spirituelle, 138, 1984, p. 674-687

89Cf. le grand traité théologique constitué par les sermons 18-26 et l’article déjà cité de B. MC GINN.

90Sur le cheminement, voir nos références supra p. 20 note 1. 91­S. 4, 16.

91Je ne voudrais pas clore ce travail sans remercier Monsieur CLAUDE GARDA, pour les encouragements qu’il m’a prodigués sans compter dès le début de cette étude, et pour la très précieuse bibliographie qu’il m’a confiée sans hésitation. Je lui dois également, ainsi qu’à Mlle DANEDE, une révision particulièrement minutieuse des épreuves de ce texte.

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