La contraction du domaine ferroviaire : un cas d’injustice sociale et environnementale

Une des grands sources d’inégalités villes/compagnes ou si l’on préfère, d’injustice sociale et environnementale dans ce pays :
la contraction des voies de chemin de fer depuis plus d’un siècle. Ne restera plus bientôt que des lignes à grande vitesse. Or, toutes les études montrent (et il suffit de monter dans un TGV pour s’en rendre compte) que les TGV attirent très majoritairement des classes sociales à haut revenu. Les plus pauvres voyagent beaucoup moins que les plus aisés et vont moins loin. Les lignes de train à grande vitesse satisfont les besoins d’hyper-mobilité des classes supérieures. Seules les grandes métropoles sont désormais desservies. Les zones hyper-rurales (le Cantal, par exemple, ou tous les départements voisins exceptés le Puy-de-dôme, et encore !) sont voués à disparaître totalement, quand ce n’est pas déjà fait, de la carte ferroviaire. Soit dit en passant, c’était une des craintes qui avaient suscitaient les dernières grèves à la SNCF, et les syndicats avaient alors révélé quelques projets soigneusement dissimulés à l’époque par la direction.

La construction des voies de chemin de fer a un coût, qui est supporté par nos impôts — qu’on vivent à la campagne ou dans de vastes métropoles, tout le monde supporte ce coût. Les classes les plus modestes, largement plus nombreuses que les classes aisées, financent donc l’hyper-mobilité des plus riches. Quand on vit dans des zones rurales, et même dans des zones péri-urbaines pauvres, ce coût s’aggrave encore : le français moyen parcourt 40 km par jour (d’après jean-Pierre Orfeuil) dont 25 pour ses déplacements quotidiens. À la campagne c’est souvent beaucoup plus. La plupart des familles habitant mon village possèdent deux automobiles. Ces gens n’ont pas le choix : il faut aller chercher l’emploi là où il se trouve, et, en l’absence de moyens de transports publics, mettre de l’essence dans la voiture. 3300 euros par an, c’est le coût moyen de l’usage d’une voiture à l’année : la moitié de cette charge est évidemment consacrée au carburant. Multipliez par 2 et ça donne une idée de la galère quand on travaille au SMIC – ce qui est le cas de la majorité de la population en milieu rural. Les populations pauvres payent donc deux fois : pour des moyens de transport (train, avion) auxquels elles n’ont pas accès (gare trop éloignée et billets trop onéreux), et pour leur propre déplacement en voiture.

La situation devient encore plus scandaleuse quand on analyse les conséquences écologiques : qui donc pollue sinon les populations pauvres des zones péri-urbaines et rurales ? Le droit à un mode de transport moins important en émission de CO2 est réservé aux populations des grandes villes desservies par des gares et des aéroports. Donc, non seulement les pauvres des campagnes délaissées payent deux fois, mais en plus ils passent pour des pollueurs adoptant des comportements irresponsables (des ploucs ignares donc). On ajoutera que si toute la population adoptait le mode de vie des hyper-mobiles, en parcourant autant de kilomètres que les classes les plus aisées,  on épuiserait en quelques mois toutes les réserves énergétiques de la planète et s’ensuivrait une catastrophe écologique d’ampleur considérable — limiter la jouissance de l’hyper-mobilité à quelques-uns, on pourrait avec un immense cynisme considérer cette perspective comme souhaitable.

Les budgets extraordinaires consacrés à faciliter le mode de vie hyper-mobile pour le confort d’une minorité – voilà un des exemples de ce qui accentue le clivage entre cette minorité et les classes populaires. Nul doute qu’on finit par retrouver dans les urnes les conséquences d’un tel mépris.

 

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Source : Reporterre