Grand vent

En forêt de Boisgrand, c’était presque le printemps. Comme si, légèrement ennivrés par la douceur ambiante, les êtres de la forêt commençaient à s’éveiller lentement de leur état de dormance hivernale.
Mais c’est un piège les amis, ne vous ébrouez pas si tôt !

Sinon, Iris de la Loupette m’a gratifié d’une petite séquence dont elle a le secret. Voici qu’au retour d’une escapade de feux-follets dans les ronciers, elle revient sur le grand chemin en boitillant. Ma pauvre louloutte, lui dis-je en substance, bobo papatte ? Ce à quoi elle répond en baissant la tête et fermant les yeux, la queue en berne. Nous voilà beaux. Au beau milieu d’une forêt sans nom à mille milles de toute terre habitée, ou presque, avec une quadrupède boitant bas ! Alors je ralentis l’allure, vais piano piano, Iris me suit à petit pas, fait des pauses, me rattrape avec peine, et nous allons ainsi avec lenteur vers notre piteux destin.

Mais soudain ! Quelle est cette ombre noire tout là-bas à l’autre bout du chemin ? Iris dresse la queue, avance le museau, ouvre grand les yeux. Et, sans crier gare, pique un sprint sur deux cent mètres avant de suivre en jappant sa proie jusqu’aux plus profondes profondeurs de la sombre forêt, dans lesquelles elle disparaît durant dix bonnes minutes. Je la retrouve plus tard, au pied d’un douglas : à cinq mètres du sol, un gros chat noir s’accroche à une branche et regarde avec terreur la monstrueuse créature qui en veut manifestement à sa vie. Évidemment, le chat va s’en sortir – un petit aventurier comme il s’en trouve parfois dans la gente féline, capable d’aller passer quelques jours dans les bois pour aller chasser. Évidemment, Iris, après cet épisode, semble avoir oublié qu’il y a quelques minutes, elle était à deux doigts d’agoniser.

Et puis, comme il faisait grand vent, et que ça craquait partout en forêt, et comme il y avait tous ces arbres jetés à terre lors des dernières tempêtes, je me suis rappelé cette histoire qu’un ami m’a racontée : il était aux champignons dans une vaste forêt de pins sur les pentes des montagnes Foréziennes, une tempête formidable s’était levée sans crier gare, des vents qu’on mesurerait plus tard au-delà des cent kilomètres à l’heure, et là, m’a-t-il dit, j’étais inquiet, les arbres craquaient, le vent hurlait, et surtout, je sentais le sol se mouvoir sous mes pas. Jamais il n’avait vécu telle expérience, ce sol qui se dérobe, qui ne tient pas en place. C’était, a-t-il bientôt deviné, les racines des résineux qui se soulevaient sous l’effet du vent. Ces racines ne s’enfoncent guère profondément dans le sol, mais s’étalent plutôt juste sous la surface. Quand il a beaucoup plus, que la terre est humide, cet enracinement est fragile, et c’est pourquoi nombreux sont les arbres de cette nature qui cèdent sous le vent. J’ai couru, disait-il, pour rentrer à la voiture, en espérant qu’un arbre ne l’ait pas déjà écrasée.