Faudra s’y faire

Quatre jours condamné à errer entre la cuisine et le bureau, et les averses de neige par la fenêtre, et la silhouette gracile des chiens qui furètent dans le pré d’à-côté. N’y tenant plus, l’attelle fermement glissée autour de ma jambe gauche – faudrait pas que le genou plie -, je vais dehors, sur le chemin derrière chez nous. Il a neigé, un peu, pas grand chose, le vent est retombé, et me voilà boitant avec résolution, Iris, l’épagneule, me précédant – ravie, même si nous n’irons pas bien loin (la forêt lui manque-t-elle ? Et les montagnes ? Autant qu’à moi ou pas ? Les chiens voient le monde différemment, ils n’ont pas besoin de grands paysages, il suffit que ça bouge quelque part, dans les fourrés, à l’entrée des terriers ou dans les airs, pour que ça devienne intéressant.).

 

Lenteur et peine : je n’irai même pas jusqu’au bout du chemin. Il se met à neiger au retour. Je m’efforce de remettre en route quelques pensées. Mais c’est l’état de mon genou qui me vient à l’esprit et j’ai bien peur que ma voiture, une petite voiture qui passe partout, mais qui fait bien ses 23 ans d’âge, soit en fin de parcours : n’ai-je pas calé quatre fois cet après-midi en vérifiant si j’étais capable de la conduire avec ce membre récalcitrant. Non décidément, tout part en vrille, c’est la panne générale.

 

De retour, on va faire des crêpes. Suis maigre comme un clou (rouillé). Mon compte en banque demeure plongé dans les profondeurs d’un découvert dont il me paraît impossible d’émerger. J’ai cherché certains livres dans ma bibliothèque tout à l’heure : en vain, je les ai prêtés sans doute, on aura oublié de me les rendre.

 

Cet après-midi, ne sachant que faire, j’étais à sec, incapable d’écrire une ligne, j’ai regardé la course cycliste les Strade Bianche (les chemins blancs, parce que l’itinéraire emprunte quelques collines pentues sur les hauteurs de Sienne, en Italie, striées d’étroites pistes de poussière blanche). Puis j’ai lu un peu. Ce retour d’hiver, moi qui d’habitude aime tellement la neige, lui vouerait presque un culte, me plombe, me paralyse. À cause de ce genou. La voiture qui ne veut plus. Le compte en banque à sec. Je me sens diminué comme ces chiens qu’on voit parfois aux abords des fermes, qui ont perdu une patte et vous regardent passer, désormais placides, puis s’en vont en clopinant, tête basse. Bon. Ça ne durera pas. Mais avec l’âge, faut pas s’attendre à des miracles pour l’avenir : j’en ai trop fait sans doute, ça se paye, on brûle et brûle et on se consume, ça peut pas durer éternellement. Faudra s’y faire.