extrait de Andrew Wilson, Belarus – The Last European Dictatorship

La répression après les élections de 2010

 

“(…) l’atmosphère préélectorale avait alimenté les attentes ; le soir des élections, la grossièreté de la fraude suscitait déjà des manifestations de masse. Au départ, quelque 7 000 à 10 000 personnes s’étaient rendues sur la place d’Octobre, le lieu des rassemblements après les élections de 2006 ; mais aucun discours n’avait été possible, les autorités ayant transformé la place en patinoire géante avec diffusion en continu d’une pop russe assourdissante. La foule avait donc défilé sur l’ancienne avenue Skaryna, dans le centre de Minsk, et des milliers d’autres personnes l’avait rejointe dans les rues adjacentes. Au moment où ils avaient atteint la place de l’Indépendance, on estime que leur nombre était passé à 30 000. L’atmosphère était paisible et curieuse, sans alcool. Un rassemblement informel avait eu lieu au chevet de l’église rouge, de la grande statue de Lénine et des principaux bâtiments gouvernementaux. La manifestation s’était d’abord déroulée pacifiquement, mais sans direction claire. Niakliaew disposait du matériel de sonorisation et des gars pour le faire fonctionner ; mais il avait été attaqué par les forces spéciales et sa camionnette confisquée par la police. Certains leaders de l’opposition semblent avoir joué le même rôle que Kazouline en 2006, en prétendant que le “gouvernement était tombé”. Mais les ennuis n’avaient commencé qu’aux alentours de 23h30, lorsqu’un groupe de policiers d’OMON avait en réalité escorté des jeunes hommes inconnus avec des barres de fer dont Makei avait averti qu’ils étaient sur le point d’attaquer le palais du gouvernement. Un autre groupe d’OMON avait ensuite attaqué des manifestants pacifiques, qui n’avaient pas de plan B – n’ayant jamais vraiment eu de plan A. Il n’y avait pas de tentes ni de fournitures pour tenir un long siège. Et la paranoïa à l’égard d’éventuels infiltrés avait dissuadé tout le monde de faire le moindre plan.

La répression a dû être planifiée à l’avance. Au total, 639 personnes ont été arrêtées. 86 ONG ont fait l’objet de raids pendant la nuit. Le bureau de l’OSCE a été fermé. Presque tous les candidats de l’opposition se sont retrouvés en prison. Ramanchuk et Tsiareshchanka sont les seuls à ne pas avoir été arrêtés, Us et Kastusiow ont été libérés relativement tôt, mais Niakliaew, Sannikaw, Kastusiow et Rymashewski ont été battus. Niakliaew a été saisi par la police à l’hôpital. Mikhalevich a affirmé avoir été torturé en prison et avoir fui le pays une fois libéré. Des procès au printemps ont donné lieu à des condamnations choquantes : Aliaksandr Atroshchankaw, un porte-parole de Sannikaw, a été condamné à quatre ans de prison.

La répression semblait avoir été délibérément conçue pour anéantir tout espoir de rapprochement avec l’Occident. Selon une théorie, Loukachenko aurait paniqué à la suite d’informations selon lesquelles son vote réel était proche du niveau indiqué par le sondage IISEPS. La taille de la foule l’avait également choqué, notamment parce qu’elle était gonflée par un grand nombre de Biélorusses de la classe moyenne ordinaire, voire nouvelle, qui n’étaient pas soumis aux méthodes traditionnelles de contrôle (tous les partis d’opposition étant truffés d’agents) – confirmant que la libéralisation limitée de la fin 2010 avait eu un effet réel et menaçait de devenir incontrôlable.

Toutefois, Loukachenko a encore eu de la chance : de la même manière qu’il avait réussi à organiser un référendum sur la suppression de la limitation des mandats présidentiels en octobre 2004, juste avant la “révolution orange” en Ukraine voisine en novembre-décembre 2004, la répression en Biélorussie en décembre 2010 a eu lieu juste avant le “printemps arabe” début 2011, lequel aurait pu donner un élan supplémentaire aux manifestants biélorusses.”