Épitaphe

En promenant les chiens ce soir dans les ruelles mal famées (puisque j’y rode) du village, il m’est venu deux idées lumineuses.

La première constitue la réponse à la question que bien des gens se posent : quelle épitaphe ira-t-on graver sur ma pierre tombale ? Et bien, j’ai la réponse et en ce qui me concerne, veuillez le noter solennellement dans vos calepins au cas où, j’aimerais que soit gravée la sentence :
“La plupart de ses idées lui sont venues en promenant les chiens (celle-là, d’idée, par exemple)”. Une bonne chose de faite, cette histoire d’épitaphe.

La seconde idée lumineuse, je ne peux pas en parler maintenant, mais elle est extraordinairement excitante et concerne un livre futur, un livre à écrire après Moldanau/Finse, au point que j’ai hâte d’en finir avec Moldanau/Finse pour me lancer dans l’exploration du suivant. Je n’en dirais pas plus car les plagiaires rodent (comme je rode dans les rues du village), des écrivains mal famés (comme ces ruelles dans lesquelles je traîne avec les chiens), il y a des gens qui sont toujours à l’affût des idées des autres, et, une fois qu’ils en tiennent une, du genre qu’ils estiment valoir la peine, une idée vendeuse, une idée qui fera leur fortune ou leur réputation, parfois même les deux, ils s’empressent de la mettre en mots, et bientôt, vous fabriquent un livre avec ça, un livre de deux cent pages en très gros caractères avec des marges gigantesques, et vas-y que je vais causer dans le poste de radiophonie, vas-y qu’on s’extasie sur les plateaux de télédiffusion !

L’auteur original de l’idée, lui, découvre le livre tiré de son idée bien après sa publication, car il n’écoute pas la radio et ne possède pas la télévision, et n’a guère le loisir de fréquenter les librairies ni les salons où l’on cause – au lieu de ça, au lieu de se tenir au courant, de surveiller les plagiaires et les indélicats, il s’est contenté de promener ses chiens, voilà, c’est son drame, il est désolé quand il découvre la perfidie, mais, j’y pense, à ce moment-là précisément, alors qu’il s’apprêtait à abandonner tout projet littéraire, voilà qu’une idée lui vient, une idée lumineuse dans les ruelles mal famées du village alors qu’il était sorti promener les chiens.