Émeute

Arrivés devant le quartier des magasins high-tech, dont les vitrines présentaient les derniers modèles d’ordinateurs portables, et d’autres objets rutilants dont il ignorait l’usage et qui lui paraissaient tout droit sortis d’un film de science-fiction, il n’avait jamais possédé d’ordinateur à lui, faute d’argent et faute d’intérêt pour la chose, les briques jaillirent des mains vengeresses des jeunes qui l’entouraient, et firent éclater l’obstacle qui les séparait du futur. À droite du magasin immense, s’élevant sur plusieurs étages, que les pillards avaient pris pour cible, une librairie d’art et de philosophie renommée, d’une taille bien plus modeste, se dressait timidement. Dans la cohue, tandis que les enfants de la rue déferlaient par vagues dans le palais des technologies, un pavé heurta discrètement pour ainsi dire l’étroite vitrine de la librairie d’Arts et de Philosophie, qui se fêla un peu, avant qu’un autre projectile frappe à nouveau, puis un autre, après quoi elle s’émietta et s’effondra. Il entra sur la pointe des pieds au milieu des gravas : la lumière des lampadaires de la rue caressait doucement les rayons saturés de livres. Il s’efforçait d’en décrypter les titres inscrits sur les tranches, il les effleurait délicatement. Puis il s’enfonça dans les profondeurs du magasin. Le sol était couvert d’une moquette de laine, un silence étonnant régnait. Personne ne l’avait suivi. Les jeunes pillaient le magasin d’à côté, lui avait brisé la vitrine de cette librairie, peut-être dans l’intention de la piller, mais il est difficile de piller un magasin quel qu’il soit quand on est seul : il ne savait pas au juste par quoi commencer. Il y avait tellement de livres, il entrevoyait des livres magnifiques, d’innombrables monographies d’artiste qu’il ne connaissait parfois que de nom, chacun de ces livres lui aurait coûté, si tant est que l’idée saugrenue de les acheter lui ait traversé l’esprit, un quart de ses allocations, mais bizarrement il n’y pensait pas,
Il glissa dans son sac à dos une monographie sur Vermeer, et un recueil de poèmes d’Henri Michaux avec des dessins de l’auteur, puis regagna le trottoir où s’attroupaient à nouveau les jeunes. Le groupe s’éparpilla, tandis que les sirènes de voitures de police hurlaient sur la ville dans les rues de laquelle il s’empressa lui aussi de disparaître.

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