Écrivains, veuillez déclarer votre machine à écrire

La “détente” très relative ayant marqué les premières années de la prise de pouvoir de Ceaucescu (de 1965 à 1970) étaient déjà un lointain souvenir dans les années 80, et durant la dernière période de son règne le dictateur sombrait franchement dans la paranoïa et la mégalomanie. Tout citoyen devenait une menace potentielle, les écrivains et les chercheurs n’échappant pas à la règle. C’est ainsi qu’en 1983, il remit en fonction une loi promulguée à l’époque de son terrifiant prédécesseur Gheorghiu-Dej : désormais, tous les possesseurs de machine à écrire devaient être inscrits sur un fichier de la police – la Securitate surveillait de très près les intellectuels. Même le contenu et le nombre des photocopies réalisées à la Bibliothèque Nationale (un des rares endroits où l’on pouvait accéder à une photocopieuse, à condition de bénéficier d’une permission spéciale) étaient enregistrés. J’ignore si ce genre de décret constitue dans l’histoire une spécificité Roumaine (si l’une ou l’un d’entre vous a d’autres exemples de ce genre, par exemple en Corée du nord, ou en Chine, ce qui ne serait guère étonnant sous Mao, je suis preneur).

Je tire cette information du livre de Dennis Deletant, Ceaucescu and the Securitate.
J’ai également trouvé un papier du Guardian faisant le compte-rendu d’un livre de Carmen Burgan, Burying the typewriter, qui évoque manifestement ce décret (je n’ai pas lu ce livre, mais il est dans ma liste désormais !). Le père de Carmen Burgan était un modeste dissident politique dans son village, fut arrêté par la Securitate. La poétesse raconte dans ce livre la manière dont elle prit conscience de la réalité du régime Roumain durant son enfance. Voici l’arrivée de la machine à écrire, avec les recommandations de la police concernant son usage :

“When the typewriter arrives, she explains the system for registering it with the police, how it is “fingerprinted” and how they must provide an explanation for why they need it. An instrument can be used to type about personal feelings (forbidden) or write anti-government pamphlets (forbidden). The ordinariness of everyday life, conveyed in her descriptions of cooking and agriculture and family rows, are a kind of thick veneer to cover silences, like the knowledge of her father’s previous arrests. One in three of their neighbours is an informer for the Securitate (secret police) because everything happens through bribing the Securitate.”

https://www.theguardian.com/books/2012/jun/17/burying-typewriter-carmen-bugan-review

On ne se rend pas toujours compte de la chance qu’on a je crois.