Des souris de laboratoire dans la lutte contre les OGM

Poursuivant mon entreprise visant à croiser des problématiques éthiques et scientifiques et dégager des paradoxes, je signale en passant un cas désormais fameux : les controverses autour de l’étude du Professeur Séralini concernant sur les effets à long terme du Roundup et du maïs transgénique NK603 (productions de Monsanto).

Le Roundup, commercialisé depuis 1975,  est un herbicide bien connu, du genre radical :  je me souviens qu’au moment où je commençais mon potager il y a deux ans, mon voisin, un paysan de l’ancienne école, me conseilla d’épandre du Roundup : « un bon coup de Roundup et tu seras tranquille pour l’année. » Je lui ai expliqué qu’il n’en était pas question, et que j’allais plutôt m’orienter vers des méthode «naturelles» (effectivement, dans mon jardin, qui se porte bien, les dites mauvaises herbes ont toute leur place). S’il fallait trouver un symbole à la si mal nommée « révolution verte », le roundup figurerait à la meilleure place sur la liste des prétendants, bien avant les semences OGM (lesquelles n’ont fait l’objet d’un usage intensif aux États-Unis qu’à partir de la fin des années 90) et le fameux Gaucho (un pesticide responsable de la destruction des abeilles). Pas plus tard qu’hier, les agriculteurs réunis sous la bannière de la FNSEA manifestaient contre, entre autre, un projet de loi dans lequel il était question de limiter l’épandage de produits phytosanitaires (si mal nommés !) à moins de 200 mètres des établissements publics. Le ministre de l’agriculture, devant la fronde, a fait machine arrière aussi vite que possible en déclarant qu’il n’avait jamais était question d’interdire l’usage des produits phytosanitaires « 200 mètres autour de toutes les habitations ». « Nous allons travailler, pour la loi d’avenir, sur une solution qui permettra d’avoir un système de protection (…) tel que des haies par exemple. Si ces protections ne sont pas mises en œuvre, nous devrons réfléchir à la question de la distance vis-à-vis des écoles, crèches et maisons de retraite ». Bref, rien de nouveau sous le soleil de Monsanto : la FNSEA, principale instance de lobbying en faveur des multinationales de l’agroalimentaire et de l’agriculture intensive, a comme toujours les faveurs des politiques. Quand les grands scandales sanitaires dus à l’épandage des produits phyto éclateront, ce qui finira bien par arriver, on verra bien si les adhérents de la FNSEA, sans parler des populations concernées, continuent de soutenir leurs représentants actuels.

L’étude du professeur Séralini et de son équipe s’inscrit dans un ensemble d’études évaluant les risques sanitaires l’exposition aux produits phytosanitaires et/ou de la consommation des plantes produites à partir de semences OGM. L’étude est très médiatisée, parce que le refus de sa publication dans les revues scientifiques a fait l’objet d’un débat virulent — les partisans de Séralini voient dans ce refus un action de censure exercée par les lobbys en faveur des OGM, soulignant que la majorité des études publiées sont en réalité produites par les laboratoires eux-mêmes, tandis que d’autres s’efforcent de démontrer les insuffisances méthodologiques du travail de Séralini et son équipe. Il est très possible que les deux partis aient raison. Il est également très possible que les produits phytosanitaires rendent parfois malades ceux qui les utilisent au quotidien. Demandez aux membres de l’association phyto-victimes ce qu’ils en pensent.

J’en arrive au sujet réel de mon article (mais tout est lié !). Car ce qui n’est jamais évoqué concernant cette étude, ce sont les rats qui ont été utilisés pour les expériences d’évaluation. Ces rats sont donc des animaux produits pour la recherche scientifique, et le destin de ces rats en particulier, considérés donc en tant qu’individus et utilisés comme tels dans le laboratoire du Professeur Séralini, consiste à vivre deux ans exposés à un produit qu’on suppose toxique et des aliments qu’on soupçonne d’être aussi des poisons. Précision importante : les dosages utilisés durant ces deux années (à partir de 11 % d’OGM dans l’alimentation, et 0,1 ppb de Roundup dans l’eau) sont considérés comme des doses environnementales courantes, on peut donc considérer que l’exposition est « normale ».  Or il s’avère, au terme de l’étude, que ces rats ont été affectés par l’eau et les aliments auxquels ils ont été exposés durant ces deux années. Certains ont développé des tumeurs impressionnantes, d’autres des déficiences au niveau des reins et du foie, sans oublier des perturbations notables du système hormonal. Quelques photographies des animaux malades ont été publiées, plus à titre d’illustration que de preuve je suppose. Et c’est en voyant ces photographies que j’ai soudain pensé aux photographies que diffusent les associations de militants pour la cause animale, et contre l’utilisation d’animaux en laboratoire. Ce qui est remarquable, c’est qu’aux gens qui s’intéressent à cette étude, pour la soutenir ou la dénigrer, ne viendrait pas l’idée d’utiliser ces photographies pour dénoncer les violences qu’on fait subir aux rats du laboratoire du docteur Séralini. Pour les militants de la cause animale, ces photographies constituent la preuve qu’on traite des êtres sensibles comme des cobayes au service des intérêts des humains — c’est de l’exploitation pure et simple. Pour les militants en faveur d’une agriculture propre et inquiets du traitement que Monsanto et consorts font subir aux paysans et à l’environnement, ces photographies constituent des éléments de preuve. D’un côté on s’indignera : « Regardez l’horreur de l’exploitation des animaux en laboratoire ! », et de l’autre on s’exclamera : « Voilà les effets du roundup sur le vivant ! ».

Existe-t-il des alternatives à l’expérimentation animale ? L’association Antidote, par exemple, propose une méthode pour tester les OGM sur des cellules humaines en culture. Ces technologies sont déjà largement employées (on estime leur part à 70% des expérimentations réalisées), mais il reste d’innombrables animaux élevés pour un usage expérimental. Paradoxe supplémentaire :  on peut mesurer aussi la place  qu’occupe la bioéconomie dans le monde contemporain (en lisant par exemple le livre de Céline Lafontaine, Le corps-marché, Le Seuil, 2014), et considérer que la marchandisation des déchets du corps humain, la réutilisation à des fins expérimentales de tissus, de cellules souches, de produits dérivés du sang, etc., ne dessine pas vraiment un avenir rassurant. Les militants végétariens sont parfois conduits à soutenir la technologie in vitro, notamment la production de viande à partir de cellules développées en laboratoire. Il y a fort à parier que les militants qui militent contre les OGM de Monsanto soient par contre spontanément méfiants vis-à-vis des biotechnologies — Monsanto est précisément une entreprise spécialisée dans les biotechnologies.

Les deux causes que j’ai évoquées dans ce texte impliquent un certain rapport à la nature : les militants anti-OGM défendent un patrimoine naturel que les semences de Monsanto risquent d’appauvrir de manière radicale et s’inquiètent de la santé des paysans qui utilisent les produits phytosanitaires livrés avec ces semences, tandis que les militants de la cause animale, luttent contre l’exploitation, la torture et le massacre des animaux de laboratoire. On aurait intuitivement tendance à penser que ces deux causes pourraient s’allier dans certains cas — mais c’est dans leur relation à la technologie, et notamment aux biotechnoloigies, qu’elles s’opposent, et sans doute même de manière irrévocable. (De la même manière que les militants en faveur d’un élevage « à taille humaine », qui luttent contre les usines à viande symboles modernes de l’hyper-productivisme agricole, ne peuvent être que condamnés par les militants de la cause animale, parce qu’ils exploitent et tuent les animaux qu’ils élèvent.)

 

 

SOURCE :  OGM : le professeur Séralini prend sa revanche
par LORÈNE LAVOCAT ET DOMINIQUE BÉROULE (REPORTERRE)