Des macaques envahissent la ville

L’événement du jour pour ceux qui s’intéressent aux relations entre les hommes et les animaux — et dans ce cas, pour reprendre la typologie de Zoopolis, aux animaux “liminaux”, qui vivent à proximité, voir au sein, des environnements humains, sans être pour autant des animaux domestiques — c’est l’invasion de milliers de macaques dans la cité d’Agra, dans l’Uttar Pradesh (Inde). Les interactions humains/macaques sont nombreuses et courantes dans certaines villes indiennes, mais il semblerait que la situation soit ici hors de contrôle (hors du contrôle humain en tous cas). Les articles évoquent, ce qui est assez banal, l’extension du milieu urbain qui mord sur le territoire des macaques — en réalité, les choses sont souvent plus compliquées. En attendant d’en savoir plus sur les causes de la situation, notons le contexte culturel et religieux qui amène certains habitants à nourrir les macaques régulièrement, parce qu’ils les considèrent comme sacrés. Pour les hindous, ces singes sont associés à Hanuman, le dieu singe.

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Statue d’Hanuman, district de Gwalior, Madhya Pradesh, India

Les réflexions générales sur la manière dont nous devrions traiter les animaux liminaux, je pense aux ours en Alaska par exemple, qui se promènent souvent aux abords des villes, voire carrément (comme c’est le cas en ce moment aux abords de l’hôpital universitaire d’Anchorage) dans les rues des zones périurbaines, aboutissent généralement à des considérations pratiques du type : tu ne nourriras pas les animaux liminaux, ou, tu prendras soin de fermer hermétiquement tes poubelles. Mais dans les cas des macaques de cette partie de l’Inde, leur caractère sacré pour certaines communautés rend cette injonction problématique car elle s’oppose à des pratiques religieuses (et finalement, à une représentation des rapports hommes/animaux qui ne relève pas du naturalisme classique occidental).

Les auteurs de Zoopolis envisagent pour les animaux “liminaux” un statut politique de “résident” (denizen), qui implique trois grands principes devant guider nos relations avec eux : 1. Garantir “the security of residency” (dans le cas des macaques d’Agra, il est probable que leurs lieux de résidence habituels, à proximité des villes, ne soient plus suffisamment adaptés) 2. Garantir la réciprocité des droits et des devoirs (entre résidents et citoyens) — contrairement donc aux animaux domestiques, qui prennent place dans la cité en tant que citoyens et donc bénéficient des mêmes droits que les autres citoyens, les animaux liminaux doivent être considérés comme des résidents ponctuels ou permanents, bénéficiant d’un certain nombre de droits, mais pas de tous les droits auxquels peuvent prétendre les citoyens (mais ils doivent aussi respecter ces droits, etc..) — l’idéal étant que ces denizenship (p.e. les macaques) et ces citoyens (p.e. les habitants citoyens de Agra) jouissent d’un bénéfice mutuel dans une collaboration respectueuse des désirs et des capacités de chacun (là, nous avons donc un autre problème : est-il tolérable que les macaques prennent l’habitude de se servir dans les armoires des habitants de la ville, est-il tolérable que leur présence dans les rues ou sur les toits constituent une source d’insécurité, notamment pour les enfants humains ?) 3. Garantir l’absence de stigmatisation de ces populations “résidentes” (on reconnaît là, chez les humains, un principe moral concernant les populations de migrants notamment. Dans le cas qui nous intéressent, les macaques sont considérés par certains habitants comme “sacrés”. Si la situation perdure, il est probable que les attitudes changent à leur égard).

J’attends de voir la suite des événements. Je suppose que la manière la plus respectueuse de toutes les parties en présence pour régler le problème serait de «déplacer les animaux» — un autre problème se pose alors : « Où donc les déplacer ? » — On en revient au phénomène classique d’empiétement des territoires animaux par les zones urbaines et péri-urbaines. Quel est l’habitat préférable pour un animal “liminal” : certains (mais pas tous), je pense notamment aux carnivores, ont sans doute besoin d’un accès à un territoire de repli (non urbanisé). La construction d’une nouvelle route ou d’un centre commercial constitue souvent un obstacle à cette possibilité de repli : il faut alors penser à corriger ce défaut par la création d’un corridor joignant l’espace urbain et l’espace de repli. Mais quid de ces macaques ? Quelle est la raison véritable de leur comportement invasif ?

[en ce début de mois d’août, j’apprends que le parlement indien à New Delhi vient de prendre de nouvelles mesures contre les nuisances provoquées par les macaques rhésus, dont les cris empêchent les  élus de travailler aux affaires du pays. À une époque, des langurs dressés étaient utilisés pour repousser les macaques. Mais ces animaux étant protégés (ce qui signifie, en Inde, qu’on n’a pas le droit de les utiliser dans un but de ce genre) il a été décidé de recourir à de jeunes gens déguisés en langurs qui imitaient leurs cris. Finalement, le ministère a renoncé à ces fameux déguisements, et on se contentera d’essayer de leurrer les macaques en imitant les cris des langurs.]

SOURCE : « Aggressive Monkeys Prove too Troublesome to Residents », NTD.TV, June 2014.