Des inégalités dans l’adaptation aux crises climatiques

Petit point climatologique ce matin. Anomalies positives, voire très largement positives dans une bonne partie de l’hémisphère nord : au SO des USA et toujours dans l’Ouest Canadien (on dépasse encore les 35 °C à Lytton, en Colombie-Britannique), la canicule dure maintenant depuis des semaines, et ne semble pas près de s’arrêter. En Afrique, et notamment en Afrique du nord (et au sud de l’Espagne), on redoute que les 50 °C soient atteints ce week-end, toute l’Europe de l’Est et Centrale est touchée par de très fortes chaleurs, le Golfe persique, l’Asie centrale et la Sibérie Orientale sont en surchauffe.

Mais l’excédent le plus spectaculaire en ce moment, c’est le record de chaleur qui vient d’être battu à Banak, à l’extrême nord de la Norvège, au-dessus du 70ᵉ parallèle ! On vient d’y enregistrer 34,7 °C. La région se trouve à quelques encablures de l’océan Arctique.

On notera aussi que dans l’hémisphère sud, l’hiver est encore une fois particulièrement doux. Rien d’étonnant dès lors à ce que la température moyenne mondiale soit au-dessus des normes.

Un ami archéologue me faisait remarquer qu’autour de l’an mille, et jusqu’au XIIIᵉ siècle, durant ce qu’on a appelé l’Optimum climatique médiéval, l’Europe de l’Ouest connaissait des températures à peu près équivalentes à celle de nos années 90. Ce qui explique d’ailleurs pourquoi les habitants de l’Auvergne médiévale s’étaient installés sur les hauts plateaux, fondant des villages bien au-dessus de 1 000 m. Mais l’étendue de cette période, et les hauteurs de températures demeurent sujettes à controverse chez les experts.

Il n’empêche, on est sûr de trois choses :

1. Ce réchauffement du climat au Moyen Âge ne s’est pas produit en quelques décennies, mais s’est étalé, avec beaucoup de variations, sur plusieurs siècles. Alors que notre réchauffement climatique est en réalité une accélération brutale, en quelques décennies, des hausses des températures moyennes.

2. Les maximales atteintes durant la période Médiévale demeurent probablement très en dessous de celles qui sont relevées désormais chaque année, de manière inexorable, sur la planète depuis 20 ans (on est habituée maintenant à cette sinistre « course aux records » qui devient le quotidien des climatologues).

3. L’immense différence entre les réchauffements climatiques à des périodes antérieures et notre réchauffement climatique contemporain, c’est que le second paraît irréversible (alors que le premier ne l’était pas). Pour deux raisons :

a) parce qu’il est lié à l’accroissement des activités humaines (émission de Co2, déforestation, bouleversement des environnements et de la biodiversité, etc.) et qu’on ne voit aucun moyen de convaincre et même de contraindre désormais les milliards d’habitants qui peuplent la planète à modifier délibérément leur manière de l’habiter (dans l’espoir de freiner un tant soit peu la hausse des températures).

b) parce qu’il entraîne la mise en route de processus naturels (fonte des banquises, des glaciers et du permafrost, incendies de forêt, destruction des barrières de corail, etc. ce qu’on appelle en anglais les tipping points, ou points de basculement), qui eux-mêmes, par effet de domino, aggravent le réchauffement des températures globales.

L’humanité a connu des changements climatiques par le passé, qui ont peut-être été vécus comme des « crises » à certains moments – mais ces changements se produisaient au pire pendant des dizaines de générations humaines, et dans des contextes démographiques et économiques forcément plus « localisés », et infiniment moins contraints qu’ils ne le sont aujourd’hui. Un groupe de chasseurs-cueilleurs au mésolithique relativement isolé dans une région peu densément peuplée peut changer de zone de chasse et migrer (nomadiser) plus facilement sans doute qu’un village d’agriculteurs du néolithique ou du Moyen Age.

Mais l’adaptation (en l’occurrence, souvent : la migration) était sans doute possible parce que les populations disposaient en général du temps et de l’espace nécessaires. L’extrême diversité des manières d’habiter le monde, qui était encore remarquable jusqu’à une période récente, avant que la mondialisation économique atteigne l’extension qu’elle manifeste aujourd’hui, favorisait sans doute la mise en place de solutions adaptatives variées aux aléas climatiques. Les historiens et les anthropologues observent depuis longtemps que des populations passent, selon les conditions environnementales, politiques (conflits, invasions, instauration de régimes autoritaires, etc.) d’un mode de vie à l’autre si nécessaire et le passage, si contre-intuitif pour les tenants d’une évolution linéaire, d’un mode de vie sédentaire et agricole à un mode de vie semi-nomade, fondé sur la chasse, la cueillette et l’horticulture sur brûlis, ou encore la pêche en eaux-vive ou l’élevage nomadisant, n’est pas aussi rare qu’on l’imaginait.

On comprend bien qu’aujourd’hui, dans un espace saturé, une temporalité d’urgence, et une économie mondialisée, une certaine uniformisation des manières d’habiter et de faire un monde viable, et l’interdépendance radicale qui en découle, et pour tout dire dans une situation de crise, ces processus d’adaptation (le seul horizon viable qui demeure en vérité) seront beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre et dépendront des ressources des régions et du statut économique des habitants (de manière certainement plus dramatique que c’était le cas autrefois). Autrement dit, les inégalités de richesses, de ressources, d’accès aux technologies, et les différences d’organisations “politiques”, vont accentuer et aggraver les différences géographiques et la vulnérabilité aux changements du climat.