Au lac d’Aubusson, en forêt d’Ayguebonne

Lundi j’étais en forêt d’Ayguebonne, sans l’avoir fait exprès. Le fait est qu’après Thiers, je voulais aller au col de la Charme, et de là, grimper le long des crêtes au Puy de Montoncel. Je voulais, c’est peut-être beaucoup dire. Je devrais écrire : j’en avais vaguement l’intention. Il faisait grand beau temps, mais assez frais, pas plus de 4 °C en altitude, et sur ces routes étroites, je roulais bercé par la musique de chambre de César Franck et Alexander Von Zemlinsky, autant dire que je roulais au pas, prenant chaque virage avec une extrême douceur, histoire de ne pas réveiller Iris qui dormait sur le siège arrière.

Puis, à ma grand surprise, j’avisais un panneau VOLLORE-VILLE, tout à fait à l’opposé de là où je croyais être. On croit être quelque part, on est en réalité ailleurs, ce qui est troublant, sur le coup du moins, mais après tout, telle était sans doute la volonté des dieux – me suis-je dit en substance, et j’ai garé la voiture de côté, déplié la carte : j’étais déjà allé par cette route qui traverse la forêt jusqu’au col de la Loge et ND de l’Hermitage, et ma foi, il y a bien des endroits pour marcher par ici, alors un endroit ou un autre après tout qu’importe et donc, gardant l’idée de partir depuis un col, j’ai choisi, au-dessus de Vollore-Montagne, le col de Pertuis, d’où l’on peut marcher à loisir notamment dans la forêt d’Ayguebonne, en caractère gras sur la carte, et nous voilà donc, peu après, parcourant de larges chemins : le vent soufflait fort, depuis le nord et l’ouest, et à l’ombre des hêtres et des sapins, on supportait une laine épaisse.

Forêt d'Ayguebonne

Peu après le départ, en s’engageant dans la forêt, une jeune jument, pas plus d’un an je pense, surgissant d’un pré ouvert, nous barrait avec détermination le chemin. Je m’avance en parlant doucement, tandis qu’Iris, prudemment, demeure à l’abri derrière mes pattes. L’animal fait un pas de côté, relève la tête avec brusquerie, se recule l’air craintif, puis s’avance sans crier gare, se penche vers Iris qui s’écarte : que veux-tu l’amie ? Manifestement, elle veut juste nous suivre un peu  – ce qu’elle fait, après nous avoir cédé le passage, marchant lentement derrière nous, à une dizaine de pas, durant un bon miles, avant de s’en retourner à son poste de garde je suppose.

Plus tard, après notre escapade, ponctué d’un concert de flûte improvisé que je jouais devant l’ancienne maison forestière, en nous retournant vers le col, c’est cette fois-ci non pas une mais deux juments, accompagné d’un poulain en bas âge, qui se tiennent au milieu du chemin. La tribu, tranquille à l’ombre des sapins et non loin du ruisseau, nous laisse libre un passage tout en nous observant, surtout Iris, avec circonspection. J’imagine qu’en contrebas, il doit y avoir une clôture effondrée dans un pré, et que toute cette société a décidé de prendre ses aises en cette belle journée de printemps.

Forêt d'Ayguebonne

Aujourd’hui, jeudi, comme le temps est de nouveau au beau, je file avec Iris et Capou au lac d’Aubusson, délicieux quand la saison touristique n’a pas encore démarré, et je suppose, quand elle s’est achevée – j’ai bien hâte d’y retourner cet automne, mais aussi cet hiver ! Nous faisons le tour du lac tranquillement : pas grand monde ici, quelques pêcheurs, des randonneurs à trottinette – la spécialité de l’endroit -, quelques canards et pas mal d’oiseaux voletant en lisière des bois le long des berges. Puis, nous nous installons sur l’herbe pour un modeste pique-nique : les chiens sont ravis et je ne le suis pas moins. Tandis qu’Iris et moi nous allongeons sous un saule pour la sieste, bercés du chant des vaguelettes du lac et du ruisseau attenant, Capou explore les environs. Penché de côté, je le surveille d’un œil – il vaque à ses occupations de petit mâle soucieux d’informer son monde, s’approche de la berge du ruisseau, et soudainement : disparaît ! J’entends un léger plouf. M’extirpant difficilement d’un sommeil naissant, j’accours : mon ami est bel et bien dans l’eau jusqu’au cou, et ma foi, nage à ce qu’il me semble, bien que le ruisselet ne soit guère profond, mais peine à remonter sur la terre ferme : je l’y aide évidemment – il s’ébroue, pas plus inquiet que cela, et retourne illico à ses occupations. J’ignorais que Capou savait nager ! Après dix ans de vie commune, voilà une chose qu’il m’avait cachée. Mais peut-être l’ignorait-il tout autant ? Aura-t-il versé dans le ruisseau en essayant d’y boire un peu ? Se serait-il admiré tel Narcisse à la surface des eaux et subi le sort de son malheureux ancêtre ? Ou les bords terreux auraient-ils cédé sous son poids – un léger effondrement de terrain à la mesure de mon modeste compagnon ? C’était là en tous cas le genre d’aventure qui vaut la peine d’être vécue et qui rend la promenade inoubliable.

Au Lac d'Aubusson d'Auvergne

Et maintenant c’est le soir, et nous sommes tous trois dans le petit salon, écoutant de la musique tandis que j’écris ce petit morceau – d’autres projets en cours, plus ambitieux, attendront demain, ou le jour suivant, après tout rien ne presse, le temps est en train de changer, la lune cernée de nuages, la fraîcheur qui descend à nouveau sur le village, j’éteins le poêle à bois et ferme les volets.