Au bord du lac

Quelques sauts de carpes : un éclair argenté, une gerbe d’eau et ce éclat sonore profond – voilà qui m’éveille tout à fait d’un début de sieste. Iris aussi du reste, qui s’assoit au bord du lac pour observer – elle a couru après les canards tout à l’heure.

Peu importe le nom des choses quand bientôt il n’y aura plus personne pour nommer. Je renonce définitivement à la botanique – et à la zoologie. Je peux me réclamer d’Alberto Caeiro et de son berger, ce qui n’est déjà pas mal.

Ainsi prospéraient -ils, les non-humains, bien avant qu’une tribu hominide encouragée par quelque dieu farceur ait entrepris de donner des noms aux bêtes et aux plantes (et aux cailloux ?). Avec la nomenclature s’instaure l’esclavage généralisé de toute chose.

Nommant nous croyons savoir et éclairer l’expérience  – quand en réalité nous perdons de vue le sentier qui mène à l’inconnu. Aveuglante connaissance ! (disent les mystiques lesquels ont bien raison – on lira quelque chose de ce genre aussi chez Bion).

Sacré détour pour justifier mon ignorance et ma paresse peut-être. Pas faute d’avoir essayé pourtant. Mais quelque chose en moi s’indigne secrètement quand je m’efforce d’apprendre à nommer les choses en suivant les livres de botanique ou de zoologie. Je préfère sans doute laisser les choses librement être, anonymes.

Les carpes, et toutes les tribus animales, se voient comme des humains (la question cruciale des animistes est de savoir comment ils nous voient, nous les hominides).

Fatigué de me reposer au bord du lac, je commence à remonter le cours d’un ruisseau. Les eaux sont claires et l’ombre des arbres trace des traits noirs sur le sable.

Plus ça va, moins je m’intéresse aux humains. Je ne vois pas très bien où ça mène. Une forme d’excentricité sans doute. Il faudrait que je me rachète une toile de tente.

C’est fou tout de même que par cette magnifique journée de printemps (il fait soleil quoi, et le soleil fut rare en mai) je me sente absolument triste.

De retour au bercail, je découvre le cycle de chansons que Samuel Barber composa (dans les années 50) à partir de poèmes anonymes de moines irlandais (VIIIè-XIIè siècles).

En voici un :

The Desire for Hermitage

Ah! To be all alone in a little cell with nobody near me;
beloved that pilgrimage before the last pilgrimage to Death.
Singing the passing hours to cloudy Heaven;
feeding upon dry bread and water from the cold spring.
That will be an end to evil when I am alone
in a lovely little corner among tombs
Far from the houses of the great.
Ah! To be all alone in a little cell, to be alone, all alone:
Alone I came into the world,
Alone I shall go from it.